· Cité du Vatican ·

La mission des sœurs de l’Esprit Saint en Ukraine

«Ma prière, c’est arracher son aide à Dieu»

 «Ma prière, c’est arracher son aide à Dieu»  FRA-022
31 mai 2022

«La guerre a radicalement changé ma vie et continuera à la changer», déclare sœur Svitlana Matsiuk de la Congrégation des sœurs missionnaires servantes du Saint-Esprit. Avant la guerre, la religieuse avait commencé ses études à Rome. En janvier dernier, elle est rentrée en Ukraine et devait reprendre ses études en septembre. Aujourd’hui, elle ne sait pas si elle sera en mesure de le faire. Avant la guerre, sa communauté vivait à Khmelnytskyj, chef-lieu de la région du même nom, où elle était présente depuis 1995. Aujourd’hui, elle a dû déménager dans un petit village appelé Matkivtsi, où elle est accueillie par les frères mineurs conventuels et où les elles aident les personnes qui fuient les zones les plus touchées par la guerre.

 

La guerre n’a pas seulement bouleversé la vie extérieure des sœurs: «J’ai changé tant du point de vue psychologique que spirituel», dit la missionnaire. «Cette situation a introduit des questions dans ma relation avec Dieu et dans ma vie de foi». Le 24 février, sœur Svitlana se trouvait avec ses consœurs dans un petit village près de Vinnytsia, et elles ont été réveillées le matin par le vacarme des explosions. Après le premier moment de perplexité («Peut-être est-ce un accident»), est venu le choc et les questions: «Comment est-ce possible?» «Est-ce que cela arrive réellement?». «La douleur atroce» qui a provoqué ces questions demeure encore et devient aiguë lorsque sœur Svitlana rencontre et écoute ceux qui ont regardé la mort dans leurs yeux: les soldats blessés qu’elle a visités à l’hôpital militaire et les réfugiés qui ont vu des gens mourir pendant le voyage. «Les écouter suscite de nombreuses questions adressées à Dieu, et parmi elles, des questions sur la nature du mal. Avant la guerre, je savais que le mal existait, mais il ne touchait pas nos vies comme aujourd’hui. Ceci est une autre réalité, dans laquelle il y a aussi Dieu, qui souffre et est crucifié... Et Dieu m’a répondu par une question: “Veux-tu entrer avec moi dans cette réalité?”. Je ne veux pas la fuir en me créant des mondes illusoires, mais je veux y entrer, être présente pour faire le plus de bien possible».

A Matkivtsi, les sœurs missionnaires servantes du Saint-Esprit accomplissent leur service auprès des nécessiteux au sanctuaire Notre-Dame de Fatima, en collaboration avec les frères mineurs conventuels. Au cours des premières semaines de la guerre, ils ont organisé un refuge pour les personnes en fuite. Au fil du temps, le flux des personnes déplacées a diminué, et ainsi les sœurs ont décidé de mettre en place un petit centre d’aide humanitaire: elles distribuent des vêtements, de la nourriture et des médicaments aux réfugiés et leur offrent en outre leur temps pour les écouter. «Il est important pour eux de savoir qu’ils peuvent venir ici et qu’ils seront aidés et écoutés», dit sœur Svitlana. «Et dans cette situation, où le mal est vraiment visible, il est très important de savoir qu’il y a aussi beaucoup de bien».

Le rythme de la prière communautaire a changé: les horaires sont souvent bouleversés par les engagements urgents. «Mais ma prière personnelle est devenue plus intense». «Parfois, je me réveille la nuit et je prie. Et la prière devient un cri: “S’il te plaît, fais quelque chose!” Ce n’est plus prier ou demander, c’est arracher son aide à Dieu».

Sa consœur, sœur Victoria, parle également d’une expérience de prière similaire. Elle se trouvait en Grèce au début de la guerre où, depuis 2019, elle était en mission au Service jésuite des réfugiés: «La première semaine, je ne faisais que pleurer, je lisais les nouvelles, j’appelais mes amis et ma famille en Ukraine et je priais jour et nuit. Je leur ai dit de m’écrire au cas où ils se trouveraient dans une situation critique. Une de mes amies habitait dans l’un des villages de la région de Kiev, qui étaient occupés par l’armée russe au début de la guerre. Pendant un certain temps, elle s’est cachée avec sa famille dans une cave, et ils ne savaient pas s’ils devaient fuir ou rester. Elle n’arrêtait pas de me demander de prier. Et je demandais à Dieu: “Sauve-les, aide-les à fuir, rends-les invisibles”. Quand ils ont réussi à s’échapper, je me suis sentie soulagée». Dans ces moments-là, le besoin de prier devenait comme le besoin de respirer. C’est ainsi qu’elle a décidé de retourner en Ukraine. Ses consœurs de Khmelnytskyj étaient contre car il y avait des risques de bombardements dans tout le pays. «Mais je suis originaire de Crimée et j’ai déjà perdu une fois ma patrie. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé que je voulais rentrer en Ukraine». «Je veux partager avec mon peuple ses peurs, ses souffrances et aussi sa foi», déclare la religieuse, confiant que ce fut une surprise pour elle de voir combien de prières et de célébrations ont lieu chaque jour au sanctuaire Notre-Dame de Fatima à Matkivtsi.

Les personnes déplacées qui arrivent, demandent souvent aux sœurs de prier avec elles ou de prier pour leurs proches qui sont restés dans les lieux les plus touchés. «Ces deux derniers mois— ajoute sœur Svitlana — ont également été pour nous un temps intense d’évangélisation, de témoignage que Dieu est présent ici. Mon expérience de Dieu dans le passé me donne confiance que même si nous traverserons de grandes épreuves et de grandes souffrances, et même si le prix sera très élevé, la récompense le sera aussi. Mon expérience me dit que Dieu ne joue jamais avec nous, et s’il permet quelque chose comme cela, cela signifie qu’Il sait que nous réussirons à surmonter tout cela, et qu’Il nous portera dans ses bras à travers tout cela».

Svitlana Dukhovych


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