C’est une folie de continuer à suivre la «vieille logique du pouvoir qui domine encore ce que l’on appelle la géopolitique»: face à la guerre, le Pape François a affirmé que «la vraie réponse n’est pas d’autres armes, d’autres sanctions, d’autres alliances politico-militaires, mais une autre approche, une manière différente de gouverner le monde désormais globalisé — sans montrer les dents, comme maintenant —, une manière différente de concevoir les relations internationales». C’est par ces paroles que le Pape s’est adressé aux participantes au congrès du centre italien des femmes, reçues en audience, dans la matinée du jeudi 24 mars, dans la salle Clémentine. En soulignant, en particulier, le rôle des femmes dans le changement de cap des relations internationales, le Pape a affirmé que «le modèle du “soin” est déjà en place, Dieu merci, mais malheureusement, il est encore soumis à celui du pouvoir économique, technocratique et militaire». Nous publions ci-dessous le discours de François.
Chères sœurs, bonjour et bienvenue! Et bonjour, Eminence [le cardinal E. Menichelli est présent].
Je remercie la présidente, Renata Natili Micheli, pour les paroles par lesquelles elle a introduit notre rencontre. Elle est courageuse, cette jeune femme! Elle est courageuse! Vous êtes venues à Rome pour célébrer votre congrès électif, dont le thème dépasse largement les échéances associatives, c’est un thème ample, d’une ample portée: «L’identité créative de l’homme et de la femme dans une mission partagée». Beau travail. Je vous remercie d’avoir offert votre contribution au dialogue sur ce thème de l’identité de l’homme et de la femme. Une question très actuelle, non seulement et pas tant dans un sens théorique, mais dans un sens existentiel, dans la vie des personnes; je pense spécialement aux enfants, garçons et filles, aux adolescents et aux adolescentes qui, dans leur croissance, ont besoin de repères, de figures adultes auxquelles se confronter. Hommes et femmes.
Mais je veux surtout vous remercier parce que vous êtes ici, parce qu’en Italie existe et continue cette association de femmes qui est la vôtre, qui est animée par l’Evangile et veut dialoguer avec tous pour le bien commun de la société. Et cela ne doit pas être considéré comme allant de soi. Merci.
Le Centre italien des femmes ( cif ) est né dans un contexte de défense de la dignité et des droits de la femme, dans cette période si riche, si fructueuse pour l’Italie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Dans ce contexte fortement polarisé au sens idéologique, le cif est né comme un choix de responsabilité, d’engagement en vue de protéger l’humain. C’était le choix de ce que l’on appelle aujourd’hui la culture du «soin», une alternative à la culture de l’exploitation et de la domination. Je reviendrai sur cela.
Lors de l’assemblée constituante, Maria Federici Agamben, première présidente nationale du cif, avec les autres représentantes féminines et trans-versalement par rapport aux alignements des partis, a participé à la rédaction de certains articles de la Constitution et elle a influencé la «philosophie» constitutionnelle concernant les thèmes de la solidarité, de la subsidiarité et de la laïcité de l’Etat.
Pour vous, la participation à la vie politique, comme le soulignait le Pape Pie xii, ne répond pas simplement à la revendication d’une pleine ci-toyenneté des femmes, non, elle se veut un acte de justice envers la communauté et une valorisation de la politique considérée comme une forme de la charité, la forme la plus élevée, sans doute, de la charité. Un engagement mis en œuvre non pas dans l’arène politique, mais sur le versant des droits et de la culture. Le cif, alors comme aujourd’hui, exprime cette vision de la politique entendue comme un service du bien commun animé par la charité. A cet égard, le Catéchisme de l’Eglise catholique affirme que la justice consiste dans la réalisation des «conditions qui permettent aux associations et aux individus d’obtenir ce à quoi ils ont droit selon leur nature et selon leur vocation» (n. 1928).
Chères amies, il est désormais évident que la bonne politique ne peut pas venir de la culture du pouvoir compris comme domination et oppression, mais seulement d’une culture du soin, du soin de la personne et de sa dignité et du soin de notre maison commune. Malheureusement, la guerre honteuse à laquelle nous assistons prouve le contraire.
Je pense que pour celles d’entre vous qui appartiennent à ma génération, il est insupportable de voir ce qui s’est passé et ce qui se passe en Ukraine. Mais c’est malheureusement le résultat de la vieille logique du pouvoir qui domine encore ce que l’on appelle la géopolitique. L’histoire des soixante-dix dernières années le prouve: les guerres régionales n’ont jamais manqué; c’est pour cela que j’ai dit que nous étions dans la troisième guerre mondiale «par morceaux», un peu partout; jusqu’à arriver à celle-ci, qui a une plus grande dimension et menace le monde entier. Mais le problème fondamental est le même: on continue à gouverner le monde comme un «échiquier», où les puissants étudient les manœuvres pour étendre la domination au détriment des autres.
La vraie réponse n’est donc pas d’autres armes, d’autres sanctions. J’ai eu honte quand j’ai lu je ne sais pas où, qu’un groupe d’Etats s’est engagé à dépenser deux pour cent, je crois, ou deux pour mille du pib en achats d’armes, en réponse à ce qui se passe actuellement. De la folie! La vraie réponse, comme je l’ai dit, n’est pas d’autres armes, d’autres sanctions, d’autres alliances politico-militaires, mais une autre approche, une manière différente de gouverner le monde désormais globalisé — sans montrer les dents, comme maintenant —, une manière différente de concevoir les relations internationales. Le modèle du «soin» est déjà en place, Dieu merci, mais malheureusement, il est encore soumis à celui du pouvoir économique, technocratique et militaire.
Pourquoi ai-je voulu partager cette réflexion avec vous? Parce que vous êtes une association de femmes, et que les femmes sont les protagonistes de ce changement de cap, de cette conversion. A condition qu’elles ne soient pas formatées par le système de pouvoir en vigueur. Tant qu’elles gardent leur identité de femmes. A ce propos, je voudrais revenir sur un passage du Message de saint Paul vi aux femmes, à la fin de Vatican ii. Il dit: «Mais l’heure vient, l’heure est venue, où la vocation de la femme s’accomplit en plénitude, l’heure où la femme acquiert dans la cité une influence, un rayonnement, un pouvoir jamais atteints jusqu’ici. C’est pourquoi, en ce moment où l’humanité connaît une si profonde mutation, les femmes imprégnées de l’esprit de l’Evangile peuvent tant pour aider l’humanité à ne pas déchoir» (nn. 3-4). La force prophétique de cette expression est impressionnante. En effet, en acquérant du pouvoir dans la société, les femmes peuvent changer le système. Vous pouvez changer le système, les femmes peuvent changer le système si elles réussissent, pour ain-si dire, à convertir le pouvoir de la logique de la domination à celle du service, à celle du soin. Il y a une conversion à faire: le pouvoir avec la logique de la domination, le convertir en pouvoir avec la logique du service, avec la logique du soin.
Et j’ai voulu en parler avec vous pour me rappeler, à moi et à tous, à commencer par nous chrétiens, que ce changement de mentalité concerne tout le monde et dépend de chacun. C’est l’école de Jésus, qui nous a appris comment le Royaume de Dieu se développe toujours à partir de la petite semence. C’est l’école de Gandhi, qui a conduit un peuple vers la liberté sur la voie de la non-violence. C’est l’école des saints de tous les temps, qui font grandir l’humanité avec le témoignage d’une vie passée au service de Dieu et du prochain. Mais c’est aussi — je dirais surtout — l’école d’innombrables femmes qui ont cultivé et sauvegardé la vie; de femmes qui ont guéri des fragilités, qui ont guéri des blessures, qui ont guéri des plaies humaines et sociales; de femmes qui ont consacré leur esprit et leur cœur à l’éducation des nouvelles générations.
La force de la femme est grande. Elle est grande! Il y a un dicton — plus qu’un dicton c’est une réflexion: si un homme plutôt jeune devient veuf, il lui est difficile de se débrouiller seul. L’homme ne peut tolérer une si grande solitude. Si une femme devient veuve, elle s’en tire: elle s’occupe de la famille, elle s’occupe de tout. Où se trouve la différence, où est-elle? Le génie féminin: c’est cela le génie féminin. Cet exemple éclaire suffisamment cette réalité.
La culture du soin, de l’accueil, la culture de se faire proche. Vous la vivez en puisant dans l’Evangile. Vous l’avez apprise dans l’Eglise, mère et maîtresse, et en vous formant à cultiver la vie spirituelle d’abord en vous-mêmes, à prendre soin les unes des autres, dans l’amitié, dans l’écoute mutuelle, surtout dans les moments difficiles, en priant les unes pour les autres, sans commérages les unes à l’égard des autres, car cela ne va pas! Mais vous ne le faites pas, j’en suis sûr.
Chères amies, c’est pour tout cela que je vous remercie et je vous encourage à continuer. Comme d’autres associations catholiques historiques, la vôtre aussi a changé avec l’évolution de la société italienne. Pour cette raison, il est également bon de «s’alléger» de structures devenues insoutenables, pour mieux se consacrer à l’éducation et à l’animation culturelle et sociale. Que la Vierge Marie vous accompagne toujours, que nous contemplerons demain à l’Annonciation. Je vous bénis cordialement vous ici présentes et toutes les associées, surtout les plus fragiles. Et vous aussi, s’il vous plaît, priez pour moi. Merci!