«L’humanité, qui se vante de progresser dans la science, dans la pensée, dans tant de belles choses, régresse dans la construction de la paix. Elle est championne pour faire la guerre. Et cela nous fait honte à tous. Nous devons prier et demander pardon pour cette attitude». C’est ce qu’a affirmé le Pape François en s’adressant aux participants à la session plénière de la Congrégation pour les Eglises orientales, reçus en audience dans la matinée du vendredi 18 février dans la salle Clémentine.
Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue!
Je remercie le cardinal Sandri pour ses paroles de salutation et d’introduction; et je remercie chacun d’entre vous pour sa présence, en particulier ceux qui viennent de loin.
Vous avez prié ce matin devant la Confession de l’apôtre Pierre, en renouvelant ensemble la profession de foi: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant». C’est le même geste que nous avons accompli avant la Messe du début de mon pontificat, pour manifester, comme le disait le Pape Benoît xv, que «dans l’Eglise de Jésus Christ, qui n’est ni latine, ni grecque, ni slave, mais catholique, il n’y a aucune discrimination entre ses enfants et que tous, latins, grecs, slaves et autres nationalités ont la même importance» (Enc. Dei Providentis, 1er mai 1917). C’est précisément vers lui, qui est le fondateur de la Congrégation pour les Eglises orientales et de l’Institut pontifical oriental, que se tourne notre mémoire reconnaissante, cent ans après sa mort. Il dénonça la barbarie de la guerre comme un «massacre inutile». Son avertissement est resté sans réponse pour les chefs des nations engagées dans la première guerre mondiale. Tout comme l’appel de saint Jean-Paul ii n’a pas été écouté pour éviter la guerre en Irak.
Tout comme en ce moment, où il y a tant de guerres partout, cet appel des Papes et des hommes et femmes de bonne volonté n’est pas entendu. Il semble que le plus grand prix pour la paix devrait être décerné pour les guerres: une contradiction! Nous sommes attachés aux guerres, et c’est tragique. L’humanité, qui se vante de progresser dans la science, dans la pensée, dans tant de belles choses, régresse dans la construction de la paix. Elle est championne pour faire la -guerre. Et cela nous fait honte à tous. Nous devons prier et demander pardon pour cette attitude.
Nous espérions qu’il n’y aurait pas besoin de répéter de telles paroles au troisième millénaire; pourtant, l’humanité semble encore tâtonner dans les ténèbres: nous avons assisté aux massacres des conflits au Moyen-Orient, en Syrie et en Irak; à ceux dans la région éthiopienne du Tigré; et des vents menaçants soufflent encore dans les steppes de l’Europe de l’Est, allumant les mèches et les feux des armes et laissant glacés les cœurs des pauvres et des innocents, ceux qui ne comptent pour rien. Pendant ce temps, le drame du Liban se poursuit, laissant désormais tant de personnes sans pain; jeunes et adultes ont perdu l’espoir et quittent ces -terres. Et pourtant, elles sont la mère-patrie des Eglises catholiques orientales: c’est là qu’elles se sont développées, en préservant des traditions millénaires. Beaucoup d’entre vous, membres du dicastère, en êtes les fils et les héritiers.
Votre quotidien est donc comme un mélange formé par la poussière précieuse de l’or de votre passé, le témoignage de foi héroïque de beaucoup dans le présent, avec aussi la boue des misères dont nous sommes également responsables, et la douleur qui vous est causée par des forces extérieures. Vous êtes des graines posées sur les tiges et les branches de plantes séculaires, transportées par le vent jusqu’à des frontières impensables: les catholiques orientaux habitent désormais depuis des décennies des continents lointains, ils ont sillonné des mers et des océans et traversé des plaines. Des éparchies sont déjà constituées au Canada, aux Etats-Unis, en Amérique latine, en Europe, en Océanie, et beaucoup d’autres sont confiées, au moins pour le moment, aux évêques latins qui coordonnent l’action pastorale à l’aide des prêtres envoyés dans le respect des procédures par leurs chefs d’Eglise respectifs, patriarches, archevêques majeurs ou métropolites sui -iuris.
C’est pourquoi vos travaux ont traité de l’évangélisation, qui constitue l’identité de l’Eglise en chacune de ses parties, et même la vocation de chaque baptisé. Pour la mission, nous devons nous mettre davantage à l’écoute de la richesse des différentes traditions. Je pense par exemple à l’itinéraire du catéchuménat des adultes, qui prévoit la célébration des sacrements de l’initiation chrétienne sous une forme unitaire: une coutume qui, dans les Eglises orientales, est conservée et pratiquée également pour les enfants. Dans les deux parcours, on perçoit l’importance d’une sage catéchèse mystagogique, qui -accompagne les baptisés de tous âges vers une appartenance mûre et joyeuse à la communauté chrétienne. Dans l’Eglise latine, cette catéchèse mystagogique nous manque. Sur ce chemin, les différents ministères dans l’Eglise sont précieux, de même que les rapports harmonieux avec les religieux et les religieuses qui œuvrent selon leur charisme propre dans vos milieux. Vous vous êtes attardés ces jours-ci sur tous ces aspects.
Il est une expérience dans laquelle «l’argile» de notre humanité se laisse modeler, non par les opinions changeantes ou par les analyses sociologiques pourtant nécessaires, mais par la Parole et l’Esprit du Ressuscité. Cette expérience est la liturgie. Et ceci nous fait penser aussi au chemin synodal, ou mieux, au parcours synodal. Le parcours synodal n’est pas un parlement, il ne s’agit pas de nous dire les différentes opinions pour ensuite faire une synthèse ou un vote, non. Le parcours synodal, c’est marcher ensemble sous la conduite de l’Esprit Saint; vous, dans vos Eglises, vous avez des Synodes, d’anciennes traditions synodales, et vous êtes témoins de cela. Dans la synodalité, il y a l’Esprit, et quand l’Esprit n’y est pas, il n’y a qu’un parlement ou un sondage d’opinion, mais pas le Synode. -Cette expérience — disais-je — est le ciel sur la terre, et cela se donne dans la liturgie, comme surtout l’Orient aime à le redire. Mais la beau-té des rites orientaux constitue bien plus qu’une oasis d’évasion ou de conservation. L’assemblée liturgique se reconnaît telle non pas parce qu’elle se convoque -elle-même, mais parce qu’elle écoute la voix d’un Autre, en restant tournée vers Lui, et c’est précisément pour cela qu’elle ressent l’urgence d’aller vers le frère et la sœur en portant l’annonce du Christ. Ainsi, les traditions qui gardent l’usage de l’iconostase, avec la porte royale, ou le voile qui cache le sanctuaire à certains moments du rite, nous enseignent que ces éléments architecturaux ou rituels ne transmettent pas l’idée de la distance de Dieu, mais au contraire, exaltent le mystère de condescendance — de syncatabasis — par lequel le Verbe est venu et vient encore dans le monde.
Le Congrès liturgique pour les 25 ans de l’Instruction sur l’application des prescriptions liturgiques du Code des canons des Eglises orientales est l’occasion de mieux se connaître parmi les commissions liturgiques des différentes Eglises sui iuris; c’est une invitation à marcher ensemble avec le Dicastère et ses consulteurs, selon la voie indiquée par le Concile œcuménique Vatican ii. Sur ce chemin, il est bon que chaque composante de l’unique et symphonique Eglise catholique se maintienne toujours à l’écoute des autres traditions, de leurs itinéraires de recherche et de réforme, tout en gardant chacune sa propre originalité. La fidélité à son originalité propre est ce qui fait la richesse symphonique des Eglises orientales. On peut s’interroger, par exemple, sur la possible introduction d’éditions de la liturgie dans les langues des pays où les fidèles se sont répandus; mais sur la forme de la célébration, il est nécessaire de vivre l’unité selon ce qui est établi par les Synodes et approuvé par le Siège apostolique, en évitant des particularismes liturgiques qui, en réalité, manifestent d’autres divisions au sein des Eglises respectives. En outre, n’oublions pas que les frères des Eglises orthodoxes et orthodoxes orientales nous regardent: même si nous ne pouvons pas nous asseoir à la même table eucharistique, nous célébrons et prions cependant presque toujours les mêmes textes liturgiques. Soyons donc attentifs à des expérimentations qui peuvent nuire au cheminement vers l’unité visible de tous les disciples du Christ. Le monde a besoin du témoignage de la communion: si nous faisons scandale avec les querelles liturgiques — et malheureusement, il y en a eu quelques-unes récemment — nous faisons le jeu de celui qui est maître de la division.
Chers frères et sœurs, je vous remercie pour votre travail de ces jours-ci. Je suis toujours proche de vous dans la prière. Apportez à vos fidèles mes encouragements et ma bénédiction. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.