Le plus beau tableau de saint Joseph resté inconnu pendant des siècles
Un homme fier et réservé, un père mature, aimant, plein de sollicitude. C'est le saint Joseph peint dans le beau retable de l'église de Santa Maria Assunta dans le petit village isolé de Serrone (Italie), aujourd'hui accroché dans le musée du chapitre diocésain de Foligno. Une œuvre d'art si importante dans un lieu si isolé ! Une grande peinture à l'huile sur toile, de près de trois mètres de hauteur sur deux de largeur, est restée inconnue pendant des siècles jusqu'à ce que, il y a une quarantaine d'années, elle soit notée et étudiée par une poignée d'experts dirigés par Bruno Toscano, l'un des plus grands historiens de l'art de notre temps.
Ils en furent émerveillés mais se rendirent compte qu'il n'existait aucun témoignage ou document ancien mentionnant l'auteur. Et il n'y avait aucune signature sur l'œuvre, à l'exception d'une lettre G gravée sur le rabot placé derrière la figure du doux Enfant-Jésus debout. Une lettre qui peut identifier l'auteur comme un artiste mystérieux et presque oublié, Giovanni Demostene Ensio, un peintre aristocratique qui a travaillé dans la région romaine pour des mécènes provençaux entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, membre de l'Accademia di San Luca et connu uniquement par des témoignages et documentaires flatteurs.
En effet, à sa merveilleuse beauté s'ajoute en outre l'admirable composition des couleurs à base de matériaux précieux, principalement d'origine minérale, dont on sait que le maître Giovanni Demostene Ensio fut l'un des rares à l'époque à les utiliser, confirmant l'hypothèse de Toscano qui avait imaginé un peintre inconnu d'origine française ou flamande travaillant en Italie dans les premières années du XVIIe siècle. Le tableau représente l'atelier de saint Joseph, qui n'est pas ici un simple artisan mais un technicien de haut niveau travaillant le bois, notamment pour le bâtiment. En effet, le peintre décrit avec un soin scientifique tout à fait flamand tous les instruments de travail, planches et surfaces sur lesquels travaille le maître ébéniste, ainsi que la solide porte d’entrée de l'atelier fabriquée par Joseph lui-même, juste entrouverte pour laisser entrer la douce lumière du matin. Cette lumière éclaire le sourire de l'Enfant-Jésus qui, sous le regard sérieux, attentif et scrupuleux de son père, est en train de nouer un bout de fil blanc de la bobine utilisée par sa mère dans sa couture pour fabriquer un petit jouet en forme de croix, claire prémonition de sa future Passion. Avec une humilité évangélique amoureuse, le peintre représente une myriade de choses éparpillées dans l'atelier, des copeaux sur le sol à la boîte de travail de la Vierge en passant par les sabots abandonnés sur le sol. Le tout peint par cet homme sage et clairvoyant. C'est lui qui a conçu, construit et équipé la grande salle, y compris la magnifique fenêtre à meneaux à l'arrière, la faisant ressembler davantage à une cathédrale qu'à un atelier. Et c'est lui qui a façonné le climat familial et moral qui génère à la fois le calme tranquille exprimé par la jeune épouse absorbée dans ses pensées, et la conscience grandissante du divin enfant pris dans l'instant magique de la première découverte de la famille autour de nous et du monde qui s'ouvrira devant nous.
Le visage de Joseph immergé dans l'ombre est clairement perceptible. Et c'est ainsi qu’apparaît le père putatif de la tradition, signifiant la fonction paternelle détachée du facteur biologique de base qui appartient exclusivement à la mère.
Comme si le peintre voulait nous faire voir, à travers cette représentation très humaine de saint Joseph, que ce principe, insondable et apparemment discriminant, ne s'applique pas qu'à lui, mais en réalité à tous les êtres humains, même si nos enfants ne sont pas des enfants de Dieu.
Mais le peintre nous dit que c'est bien le cas. Tous, hommes, femmes ou autres, nous sommes, en tant qu'embryons, fœtus et personnes, des enfants de Dieu, car le corps généré par la mère fonctionne grâce à la fécondation de l'ovule par le spermatozoïde, mais la vie elle-même, que nous pouvons appeler l'âme, jaillit de quelque chose d'autre que nous pouvons appeler le divin.
Claudio Strinati
Secrétaire général de l'Accademia Nazionale di san Luca