Personne n'est saint
J'ai passé quelques jours de vacances dans un village situé sur les rives du lac de Garde où le souvenir de deux chrétiens, Giuseppe Nascimbeni et Maria Domenica Mantovani, cofondateurs de l'Institut des Petites Sœurs de la Sainte Famille, est toujours présent. Inconus de la plupart des personnes, ils ont tous les deux été déclarés bienheureux, lui en 1983 et elle en 2000, première étape sur la voie de la pleine reconnaissance ecclésiastique de leur sainteté.
On m'a raconté leur histoire vraiment exemplaire, non seulement en raison de leurs vertus respectives, comme il se doit pour la canonisation, mais également parce que la vie de ce prêtre et de sa première disciple raconte l'histoire d'une Italie, celle de la région de Vérone entre le XIXe siècle et le XXe siècle, profondément enracinée dans la tradition catholique, mais aussi dramatiquement pauvre et victime de la désagrégation sociale en raison de l'émigration forcée.
Outre les "vertus héroïques" des deux fondateurs, ce qui m'a frappé dans le récit de leur histoire, c'est de savoir qu'un peu plus de vingt ans après le début de la vie de l'Institut, 120 sœurs avaient participé à la Première Guerre mondiale en tant qu'infirmières. Personne ne sait ce qu'elles ont dû voir, vivre, souffrir, quelles sont les "vertus héroïques" qu'elles ont été en mesure de vivre dans ce drame démesuré que les livres d'histoire appellent la Première Guerre mondiale, mais que le Pape Benoît XV a plus justement défini comme le "massacre inutile".
Il ne s'agit bien sûr que d'un exemple, mais il soulève cependant une question fondamentale et importante pour les catholiques: qui sont les saints? Même sous la forte pression critique de la Réforme luthérienne, l'Eglise catholique n'a jamais voulu renoncer à sa réserve précieuse d'hommes et de femmes qui, au cours de l'histoire, ont été considérés par l'autorité ecclésiastique comme dignes de l'honneur des autels.
Même la petite réforme tentée par Paul VI, qui visait à distinguer les figures réelles des figures légendaires, n'a pas réussi à ébranler la tradition profondément enracinée du culte de nombreux saints, mythiques peut-être, mais bien ancrés dans les différentes réalités territoriales, l'histoire des coutumes et les identités populaires. Le Magistère a toujours préféré s'engager à corriger les déviances et les abus éventuels plutôt que de renoncer à un élément considéré comme fondamental dans la pédagogie de la foi: par leur exemplarité, les saints sont des pierres milliaires qui montrent le chemin à tous ceux qui veulent suivre l'Evangile.
Et pourtant, même en ce qui concerne cette pratique de la foi catholique qu'est le culte des saints, quelque chose a changé et "mes" 120 Petites Sœurs de la Sainte Famille qui, même sans formation spécifique d'infirmière, se sont généreusement lancées dans le soulagement des blessures du massacre inutile, frappent, selon moi, aux portes de l'histoire de la sainteté pour faire reconnaître leur juste place. Pas par ambition, mais par justice. D'autre part, grâce au Concile, nous avons désormais pris conscience que, lorsque l'on fait de la sainteté le mérite d'un petit nombre, on dilapide son immense valeur au lieu de l'investir, et que la fidélité au don du baptême est plus importante que toute hiérarchie de la perfection.
L'apôtre Paul n'a-t-il pas appelé tous les chrétiens "saints"? Et ce nombre symbolique de 144.000 dans l'Apocalypse ne nous rappelle-t-il pas que même la sainteté forgée par le martyre est une grâce accordée à la multitude?
Ce n'est donc pas une coïncidence si le Pape François, dans son exhortation apostolique Gaudete et Exsultate sur l'appel à la sainteté dans le monde contemporain (19 mars 2018), insiste sur la sainteté témoignée par les saints de la porte à côté, rappelle les "vertus héroïques" des médecins et des infirmières dans les mois les plus sombres de la pandémie et nous invite à discerner "les signes de sainteté que le Seigneur nous présente à travers les membres les plus humbles" du peuple de Dieu (n. 7). Un peuple qui, en fait, n'est pas saint parce qu'il est vertueux, mais parce que son Dieu est saint (cf. Lévitique, 19, 2).
En paraphrasant les paroles de François, nous pourrions dire que personne n'est saint par lui-même. Dans les niches des autels, il n'y a de place que pour un seul à la fois. Mais ce n'est pas le cas, cependant, dans l'histoire de Dieu avec son peuple.
Marinella Perroni
Bibliste, Université pontificale Saint-Anselme