«Lève-toi: car je t’établis témoin des choses que tu as vues!»: c’est le passage des actes des apôtres (26, 16) choisi par le Pape François comme thème pour la xxxvi e Journée mondiale de la jeunesse qui sera célébrée cette année au niveau diocésain — le dimanche 21 novembre, solennité du Christ roi de l’univers — en vue du rendez-vous avez les jeunes du monde entier à Lisbonne en 2023. Nous publions ci-dessous le texte du message pontifical en date du 14 septembre et publié le lundi 27.
«Lève-toi: car je t’établis témoin
des choses que tu as vues!»
(cf. Ac 26, 16)
Chers jeunes!
Je voudrais vous prendre une fois encore par la main afin de poursuivre ensemble le pèlerinage spirituel qui nous conduit vers la Journée mondiale de la jeunesse de Lisbonne en 2023.
L’année dernière, peu avant la propagation de la pandémie, j’avais signé le message dont le thème était «Jeune, je te le dis, lève-toi» (cf Lc 7, 14). Dans sa providence, le Seigneur voulait déjà nous préparer pour le défi très dur que nous étions sur le point de vivre.
Dans le monde entier, il a fallu affronter la souffrance de la perte de tant de personnes chères et de l’isolement social. La crise sanitaire a empêché, vous aussi les jeunes — projetés par nature vers l’extérieur —, de sortir pour aller à l’école, à l’université, au travail, de vous rencontrer… Vous vous êtes retrouvés dans des situations difficiles que vous n’aviez pas l’habitude de gérer. Ceux qui étaient moins préparés et sans soutien se sont sentis désorientés. Dans de nombreux cas des problèmes familiaux sont apparus, ainsi que le chômage, la dépression, la solitude et les dépendances. Sans parler du stress accumulé, des tensions et des explosions de colère, de l’augmentation de la violence.
Mais Dieu merci, ceci n’est pas l’unique face de la médaille. Si l’épreuve nous a montré nos fragilités, elle a aussi fait ressortir nos vertus parmi lesquelles la prédisposition à la solidarité. Partout dans le monde nous avons vu de nombreuses personnes, y compris de nombreux jeunes, lutter pour la vie, semer l’espérance, défendre la liberté et la justice, être artisans de paix et bâtisseurs de ponts.
Quand un jeune tombe, c’est, en un certain sens, l’humanité qui tombe. Mais il est aussi vrai que quand un jeune se relève, c’est comme si le monde entier se relevait. Chers jeunes, quel grand potentiel se trouve entre vos mains! Quelle force vous portez dans vos cœurs!
Ainsi, aujourd’hui encore, Dieu dit à chacun de vous: «Lève-toi!». J’espère de tout mon cœur que ce message puisse nous aider à nous préparer à des temps nouveaux, à une nouvelle page dans l’histoire de l’humanité. Mais il n’est pas possible de recommencer sans vous, chers jeunes. Pour se relever, le monde a besoin de votre force, de votre enthousiasme, de votre passion. C’est en ce sens que je voudrais méditer avec vous sur le passage des Actes des apôtres dans lequel Jésus dit à Paul «Lève-toi! Je te rends témoin de ce que tu as vu» (cf. Ac 26, 16).
Paul témoin devant le roi
Le verset dont s’inspire le thème de la Journée mondiale de la jeunesse 2021 est tiré du témoignage de Paul devant le roi Agrippa, alors qu’il se trouve en prison. Lui qui jadis était un ennemi et un persécuteur des chrétiens, est maintenant jugé précisément pour sa foi en Christ. Environ vingt-cinq ans plus tard, l’apôtre raconte son histoire et l’épisode fondamental de sa rencontre avec le Christ.
Paul confesse que, dans le passé, il avait persécuté les chrétiens, jusqu’à ce qu’un jour, alors qu’il allait à Damas pour en arrêter quelques-uns, une lumière «plus resplendissante que le soleil» l’entoura lui et ses compagnons de voyage (cf. Ac 26, 13), mais lui seul entendit «une voix»: Jésus lui adressa la parole et l’appela par son nom.
«Saul, Saul!»
Approfondissons ensemble cet évènement. En l’appelant par son nom, le Seigneur fait comprendre à Saul qu’il le connaît personnellement. C’est comme s’il lui disait: «Je sais qui tu es, je sais ce que tu manigances, mais néanmoins je m’adresse à toi». Il l’appelle à deux reprises, en signe d’une vocation spéciale et très importante, comme il l’avait fait avec Moïse (cf. Ex 3, 4) et avec Samuel (cf. 1 Sam 3, 10). En tombant à terre, Saul reconnaît être témoin d’une manifestation divine, d’une révélation puissante qui le bouleverse mais ne l’anéantit pas, au contraire, qui l’interpelle par son nom.
En effet, seule une rencontre personnelle, non anonyme avec le Christ change la vie. Jésus montre qu’il connaît bien Saul, «qu’il le connaît de l’intérieur». Même si Saul est un persécuteur, même si dans son cœur il y a de la haine pour les chrétiens, Jésus sait que cela est dû à l’ignorance et il veut démontrer en lui sa miséricorde. Cette grâce, cet amour immérité et inconditionné, sera précisément la lumière qui transformera radicalement la vie de Saul.
«Qui es-tu, Seigneur?»
Face à cette présence mystérieuse qui l’appelle par son nom, Saul demande: «Qui es-tu, Seigneur?» (Ac 26, 15). Cette question est extrêmement importante et dans la vie, tôt ou tard, nous devons tous la poser. Il ne suffit pas d’avoir entendu parler du Christ par d’autres, il est nécessaire de parler personnellement avec lui. Au fond, c’est cela prier. C’est parler directement à Jésus, même si peut-être nous avons le cœur encore en désordre, l’esprit plein de doutes ou même de mépris envers le Christ et les chrétiens. Je souhaite que chaque jeune, du fond de son cœur, parvienne à poser cette question: «Qui es-tu, Seigneur?».
Nous ne pouvons pas présumer que tout le monde connaisse Jésus, même à l’ère de l’internet. La question que de nombreuses personnes posent à Jésus et à l’Eglise est précisément celle-ci: «Qui es-tu?». Dans tout le récit de la vocation de saint Paul, c’est l’unique fois où il parle. Et à sa question, le Seigneur répond tout de suite: «Je suis Jésus que tu persécutes» (ibid.).
«Je suis Jésus que tu persécutes!»
A travers cette réponse, le Seigneur Jésus révèle à Saul un grand mystère: le fait qu’il s’identifie avec l’Eglise, avec les chrétiens. Jusque-là, Saul n’avait rien vu du Christ si ce n’est les fidèles qu’il avait enfermés en prison (cf. Ac 26, 10), dont lui-même avait voté la condamnation à mort (ibid.). Et il avait vu comment les chrétiens répondaient au mal par le bien, à la haine par l’amour, en acceptant les injustices, les violences, les calomnies et les persécutions endurées pour le nom du Christ. Donc, à bien voir, Saul en quelque sorte — sans le savoir — avait rencontré le Christ: il l’avait rencontré dans les chrétiens!
Combien de fois avons-nous entendu dire: «Jésus oui, l’Eglise non», comme s’ils pouvaient être interchangeables. On ne peut pas connaître Jésus sans connaître l’Eglise. On ne peut connaître Jésus qu’à travers les frères et sœurs de sa communauté. On ne peut pas se dire pleinement chrétiens si l’on ne vit pas la di-mension ecclésiale de la foi.
«Il est dur pour toi de résister à l’aiguillon»
Ce sont les paroles que le Seigneur adresse à Saul après qu’il soit tombé à terre. Mais c’est comme s’il lui parlait mystérieusement depuis long-temps, en essayant de l’attirer à lui, et que Saul résistait. Ce même doux «reproche», notre Seigneur le fait à chaque jeune qui s’éloigne: «Jusqu’à quand fuiras-tu loin de moi? Pourquoi n’entends-tu pas que je t’appelle? J’attends ton retour». Comme le prophète Jérémie, nous disons parfois: «Je ne penserai plus à lui» (Jr 20, 9). Mais dans le cœur de chacun il y a comme un feu ardent: même si nous nous efforçons de le contenir, nous n’y parvenons pas, parce qu’il est plus fort que nous.
Le Seigneur choisit quelqu’un même qui le persécute, complètement hostile à lui et aux siens. Mais il n’existe personne qui soit irrécupérable pour Dieu. A travers la rencontre personnelle avec lui, il est toujours possible de recommencer. Aucun jeune n’est hors de portée de la grâce et de la miséricorde de Dieu. A personne, on ne peut dire: il est trop loin... c’est trop tard... Combien de jeunes bien qu’ayant la passion de s’opposer et d’aller à contre-courant, portent cependant caché dans leur cœur le besoin de s’engager, d’aimer de toutes leurs forces, de s’identifier à une mission! Jésus, dans le jeune Saul, voit exactement cela.
Reconnaître sa cécité
Nous pouvons imaginer que, avant la rencontre avec le Christ, Saul était en un certain sens «plein de lui-même», se considérant «grand» par son intégrité morale, par son zèle, par ses origines, par sa culture. Il était certainement convaincu d’être dans le vrai. Mais, quand le Seigneur se révèle à lui, il est «terrassé» et se retrouve aveugle. Tout à coup, il découvre qu’il n’est pas capable de voir non seulement physiquement, mais aussi spirituellement. Ses certitudes vacillent. Dans son âme, il ressent que ce qui l’animait avec tant de passion — le zèle pour éliminer les chrétiens — était complètement faux. Il se rend comp-te de ne pas être le détenteur absolu de la vérité, d’en être au contraire bien loin. Et, de même que ses certitudes, sa «grandeur» aussi tombe. Soudain, il se découvre perdu, fragile, «petit».
Cette humilité — conscience de ses propres limites — est fondamentale! Celui qui pense tout savoir de lui-même, des autres et même des vérités religieuses, aura de la peine à rencontrer le Christ. Saul, devenu aveugle, a perdu ses repères. Seul, dans le noir, les seules choses claires pour lui sont la lumière qu’il a vue et la voix qu’il a entendue. Quel paradoxe: c’est précisément quand on reconnaît qu’on est aveugle, qu’on commence à voir.
Après avoir été ébloui sur le chemin de Damas, Saul préférera être appelé Paul, qui signifie «petit». Il ne s’agit pas d’un surnom ou d’un «nom d’artiste» — aujourd’hui très utilisé même parmi les gens ordinaires: la rencontre avec le Christ l’a fait se sentir vraiment ainsi, en abattant le mur qui l’empêchait de se connaître en vérité. Il affirme de lui-même: «Moi, je suis le plus petit des apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu» (1 Co 15, 9).
Sainte Thérèse de Lisieux, comme d’autres saints, aimait à répéter que l’humilité est la vérité. De nos jours, de nombreuses «histoires» assaisonnent nos journées, en particulier sur les réseaux sociaux, souvent construites artificiellement avec beaucoup de décors, caméras, divers fonds d’écran. On cherche toujours plus les lumières de la scène, savamment orientées, pour pouvoir montrer aux «amis» et followers une image de soi qui souvent ne reflète pas notre vérité. Le Christ, lumière de midi, vient nous éclairer et nous rendre notre authenticité, en nous libérant de tout masque. Il nous montre nettement ce que nous sommes, parce qu’il nous aime tels que nous sommes.
Changer de perspective
La conversion de Paul n’est pas un retour en arrière, mais l’ouverture à une perspective totalement nouvelle. En effet, il poursuit le chemin vers Damas, mais il n’est plus celui qu’il était, il est une personne différente (cf. Ac 22, 10). Nous pouvons nous convertir et nous renouveler dans la vie ordinaire, en faisant les choses que nous avions l’habitude de faire, mais avec le cœur transformé et des motivations différentes. Dans ce cas, Jésus demande expressément à Paul d’aller jusqu’à Damas où il se rendait. Paul obéit, mais maintenant la finalité et la perspective de son -voyage ont changé radicalement. Dorénavant il verra la réalité avec des yeux nouveaux. Avant ils étaient ceux du persécuteur justicier, désormais ils seront ceux du disciple témoin. A Damas, Ananie le baptise et l’introduit dans la communauté chrétienne. Dans le silence et la prière, Paul approfondira sa propre expérience et la nouvelle identité qui lui a été donnée par le Seigneur Jésus.
Ne pas disperser la force et la passion des jeunes
L’attitude de Paul avant la rencontre avec Jésus ressuscité ne nous est pas si étrangère. Que de force et de passion vivent aussi dans vos cœurs, chers jeunes! Mais si l’obscurité autour de vous et en vous vous empêche de voir correctement, vous risquez de vous perdre dans des combats qui n’ont pas de sens, jusqu’à devenir violents. Et malheureusement vous en serez vous-mêmes les premières victimes, ainsi que ceux qui vous sont proches. Il y a aussi le danger de lutter pour des causes qui, à l’origine, défendent des valeurs justes, mais qui, portées à l’exaspération, deviennent des idéologies destructrices. Combien de jeunes aujourd’hui, peut-être poussés par leurs convictions politiques ou religieuses, finissent par devenir des instruments de violence et de destruction dans la vie de beaucoup! Certains, nés dans l’ère du numérique, trouvent dans l’environnement virtuel et sur les réseaux sociaux le nouveau champ de bataille, faisant recours sans scrupule à l’arme des fake news pour répandre des poisons et démolir leurs adversaires.
Quand le Seigneur fait irruption dans la vie de Paul, il n’annule pas sa personnalité, il n’efface pas son zèle et sa passion, mais il met à profit ses dons pour faire de lui le grand évangélisateur jusqu’aux extrémités de la terre.
Apôtre des nations
Paul sera connu plus tard comme «l’apôtre des nations»: lui, qui a été un pharisien scrupuleux observant de la Loi! Voici un autre paradoxe: le Seigneur place sa confiance précisément en celui qui le persécutait. Comme Paul, chacun de nous peut entendre au fond de son cœur cette voix qui lui dit: «Je te fais confiance. Je connais ton histoire et je la prends dans mes mains, avec toi. Même si tu as souvent été contre moi, je te choisis et je fais de toi mon témoin». La logique divine peut faire du pire persécuteur un grand témoin.
Le disciple du Christ est appelé à être «lumière du monde» (Mt 5, 14). Paul doit témoigner de ce qu’il a vu, mais maintenant il est aveugle. Nous sommes de nouveau dans un paradoxe! Mais précisément à travers son expérience personnelle, Paul pourra s’identifier à ceux vers qui le Seigneur l’envoie. En effet, il a été établi témoin «pour leur ouvrir les yeux, pour les ramener des ténèbres vers la lumière» (Ac 26, 18).
«Lève-toi et témoigne!»
En embrassant la vie nouvelle qui nous est donnée dans le baptême, nous recevons également une mission du Seigneur: «Tu seras mon témoin!». C’est une mission à laquelle il faut se con-sacrer, qui change la vie.
Aujourd’hui, l’invitation du Christ à Paul s’adresse à chacun et à chacune de vous, jeunes: Lève-toi! Tu ne peux pas rester à terre à «t’api-toyer sur ton sort», il y a une mission qui t’attend! Toi aussi, tu peux être témoin des œuvres que Jésus a commencées à accomplir en toi. C’est pourquoi, au nom du Christ, je te dis:
— Lève-toi et témoigne de ton expérience d’aveugle qui a rencontré la lumière, qui a vu le bien et la beauté de Dieu en lui-même, dans les autres et dans la communion de l’Eglise qui l’emporte sur toute solitude.
— Lève-toi et témoigne de l’amour et du respect qu’il est possible d’instaurer dans les relations humaines, dans la vie familiale, dans le dialogue entre parents et enfants, entre jeunes et personnes âgées.
— Lève-toi et défends la justice sociale, la vérité et la rectitude, les droits humains, les persécutés, les pauvres et les vulnérables, les sans-voix dans la société, les immigrés.
— Lève-toi et témoigne du nouveau regard qui te fait voir la création avec des yeux pleins d’émerveillement, qui te fait reconnaître la Terre comme notre maison commune et qui te donne le courage de défendre l’écologie intégrale.
— Lève-toi et témoigne que les existences qui ont échoué peuvent être reconstruites, que les personnes déjà mortes en esprit peuvent ressusciter, que les personnes esclaves peuvent redevenir libres, que les cœurs oppressés par la tristesse peuvent retrouver l’espérance.
— Lève-toi et témoigne avec joie que le Christ vit! Répands son message d’amour et de salut parmi ceux de ton âge, à l’école, à l’université, au travail, dans le monde numérique, partout.
Le Seigneur, l’Eglise, le Pape, vous font confiance et vous constituent témoins à l’égard de tant d’autres jeunes que vous rencontrez sur les «voies de Damas» de notre temps. N’oubliez pas: «Si quelqu’un a vraiment fait l’expérience de l’amour de Dieu qui le sauve, il n’a pas besoin de beaucoup de temps de préparation pour aller l’annoncer, il ne peut pas attendre d’avoir reçu beaucoup de leçons ou de longues instructions. Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus Christ» (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 120).
Levez-vous et célébrez la jmj dans vos Eglises particulières!
Je vous renouvelle à tous, jeunes du monde entier, l’invitation à prendre part à ce pèlerinage spirituel qui nous conduira à célébrer la Journée mondiale de la jeunesse à Lisbonne en 2023. Le prochain rendez-vous, cependant, est dans vos Eglises particulières, dans les différents diocèses et éparchies du monde entier où, en la solennité du Christ-Roi, la Journée mondiale de la jeunesse 2021 sera célébrée au niveau local.
J’espère que nous pourrons tous vivre ces étapes comme de vrais pèlerins et non comme des «touristes de la foi»! Ouvrons-nous aux surprises de Dieu, qui veut faire resplendir sa lumière sur notre chemin. Ouvrons-nous à écouter sa voix, également à travers nos frères et nos sœurs. Ainsi nous nous aiderons les uns les autres à nous relever ensemble, et en ce moment historique difficile nous deviendrons prophètes des temps nouveaux, pleins d’espérance! Que la Bienheureuse Vierge Marie intercède pour nous.
Rome, Saint Jean de Latran,
14 septembre 2021,
fête de l’Exaltation de la Sainte Croix