Après la visite au centre Bethléem, dans l’après-midi du lundi 13 septembre, François a rencontré la communauté juive slovaque sur la place Rybné námestie, à Bratislava. Après le salut d’introduction et des témoignages, le Pape a prononcé le discours suivant.
Chers frères et sœurs, bonsoir!
Je vous remercie pour vos paroles de bienvenue et pour les témoignages que vous avez donnés. Je suis ici en pèlerin pour toucher ce lieu et en être touché. La place où nous nous trouvons est très significative pour votre communauté. Elle maintient vivant le souvenir d’un riche passé: pendant des siècles elle a fait partie du quartier juif. Le célèbre rabbin Chatam Sofer a travaillé ici. Il y avait là une synagogue, juste à côté de la cathédrale du Couronnement. L’architecture, comme cela a été dit, signifiait la cohabitation pacifique des deux communautés, symbole rare et d’une grande portée évocatrice, signe merveilleux d’unité au nom du Dieu de nos pères. Comme beaucoup d’entre eux, je ressens ici moi aussi le besoin d’ «enlever mes sandales», parce que je me trouve dans un lieu béni par la fraternité des hommes au nom du Très-Haut.
Par la suite, cependant, le nom de Dieu a été déshonoré: dans la folie de la haine, durant la seconde guerre mondiale, plus de cent mille juifs slovaques ont été tués. Et puis, lors-qu’on a voulu effacer les traces de la communauté, la synagogue a été détruite. Il est écrit: «Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu» (Ex 20, 7). Le nom divin, c’est-à-dire sa réalité personnelle, est prononcé en vain lorsqu’on viole la dignité unique et irremplaçable de l’homme, parce que le pire blasphème que l’on puisse lui faire est de l’utiliser pour ses intérêts, au lieu de respecter et d’aimer les autres. Ici, devant l’histoire du peuple juif, marquée par cet affront tragique et indescriptible, nous avons honte de l’admettre: combien de fois le nom ineffable du Très-Haut a été utilisé pour commettre des actes indicibles d’inhumanité! Combien d’oppresseurs n’ont-ils pas déclaré: «Dieu est avec nous»; mais c’était eux qui n’étaient pas avec Dieu.
Chers frères et sœurs, votre histoire est notre histoire, vos souffrances sont nos souffrances. Pour certains parmi vous, ce Mémorial de la Shoah est l’unique lieu où vous pouvez honorer la mémoire de vos proches. Moi aussi, je m’unis à vous. Sur le Mémorial est inscrit en hébreu «Zachor»: «Souviens-toi!». La mémoire ne peut et ne doit pas céder la place à l’oubli, parce qu’il ne pourra pas y avoir une aube de fraternité durable sans que l’on ait d’abord partagé et dissipé les obscurités de la nuit. La question du prophète résonne aussi pour nous: «Veilleur, où en est la nuit?» (Is 21, 11). Voici venu pour nous le temps où on ne peut pas obscurcir l’image de Dieu qui resplendit dans l’homme. Aidons-nous en cela. Car, aujourd’hui encore, les vaines et fausses idoles, qui déshonorent le nom du Très-Haut, ne manquent pas. Ce sont celles du pouvoir et de l’argent qui prévalent sur la dignité de l’homme, de l’indifférence qui détourne le regard, des manipulations qui instrumentalisent la religion en en faisant une question de suprématie ou en la réduisant à l’insignifiance. Ce sont encore l’oubli du passé, l’ignorance qui justifie tout, la colère et la haine. Soyons unis — je le répète — dans la condamnation de toute violence, de toute forme d’antisémitisme, et dans notre engagement pour que l’image de Dieu, dans chaque créature humaine, ne soit pas profanée.
Mais cette place, chers frères et sœurs, est aussi un lieu où brille la lumière de l’espérance. Ici, chaque année, vous venez allumer la première lumière sur le candélabre de la Chanukiah. Ainsi, dans l’obscurité, apparaît le message que ce ne sont pas la destruction et la mort qui ont le dernier mot, mais le renouveau et la vie. Et si la synagogue de ce lieu a été démolie, la communauté est encore présente. Elle est vivante et ouverte au dialogue. Ici, nos histoires se rencontrent de nouveau. Ici, ensemble, nous affirmons devant Dieu la volonté de persévérer sur le chemin du rapprochement et de l’amitié.
A ce propos, je conserve vivant en moi le souvenir de la rencontre à Rome, en 2017, entre les représentants des communautés juives et chrétiennes. Je suis heureux que, par la suite, une commission pour le dialogue avec l’Eglise catholique ait été instituée et que vous ayez publié ensemble d’importants documents. Il est bon de partager et de communiquer ce qui nous unit. Et il est bon de poursuivre, dans la vérité et avec sincérité, le parcours fraternel de purification de la mémoire pour guérir les blessures passées, et dans le souvenir du bien reçu et offert. Selon le Talmud, qui détruit un seul homme détruit le monde entier, et qui sauve un seul homme sauve le monde entier. Chacun compte, et ce que vous faites par votre précieux partage compte beaucoup. Je vous remercie pour les portes que vous avez ouvertes de part et d’autre.
Le monde a besoin de portes ouvertes. Ce sont des signes de bénédiction pour l’humanité. Au père Abraham Dieu dit: «En toi seront bénies toutes les familles de la terre» (Gn 12, 3). C’est un refrain qui rythme les vies des pères (cf. Gn 18, 18; 22, 18; 26, 4). A Jacob, c’est-à-dire Israël, Dieu dit: «Tes descendants seront nombreux comme la poussière du sol, vous vous répandrez à l’Orient et à l’Occident, au Nord et au Midi ; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre» (Gn 28, 14). Ici, sur cette terre slovaque, terre de rencontre entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud, que la famille des fils d’Israël continue à cultiver cette vocation, l’appel à être signe de bénédiction pour toutes les familles de la terre. La bénédiction du Très-Haut se déverse sur nous lorsqu’il voit une famille de frères qui se respectent, s’aiment et collaborent. Que le Tout-Puissant vous bénisse, afin qu’au milieu de nombreuses discordes qui polluent notre monde vous puissiez toujours être, ensemble, des témoins de paix. Shalom!