Le fleuve, le pont et les racines. Trois images qui restent gravées après la visite rapide du Pape François, environ six heures et trois événements avec leurs discours relatifs, à Budapest par une matinée encore pleinement estivale et un soleil chaud et fort, effronté.
Le fleuve: ce n’est pas le Danube car, comme l’a dit le Pape aux évêques lors de la première rencontre du matin, il existe «un fleuve d’eau vive, infiniment plus large et plus accueillant que votre grand Danube», et ce fleuve est l’eau qui jaillit de Jésus et de l’Evangile, qui atteint «l’aridité du monde et du cœur humain, le purifiant et le désaltérant». En ce qui concerne ce don de la grâce qui coule depuis plus de vingt siècles, le regard de ceux qui sont appelés à être les pasteurs du peuple des fidèles doit être attentif, capable à la fois de «conserver le passé et de regarder l’avenir». Et c’est là qu’intervient le thème de la tradition qui, selon les mots de Benoît xvi (catéchèse du 3 mai 2006) cités par François, «n’est pas une collection de choses, de mots, comme une boîte remplie de choses mortes: la Tradition est le fleuve de la vie nouvelle qui vient des origines, du Christ jusqu’à nous, et nous implique dans l’histoire de Dieu avec l’humanité». C’est pourquoi, a conclu le Pape, «le ministère épiscopal ne sert pas à répéter une nouvelle du passé, mais il est une voix prophétique de l’actualité éternelle de l’Evangile, dans la vie du saint Peuple de Dieu et dans l’histoire d’aujourd’hui».
Le pont: sur l’imposante masse d’eau de «votre Danube» s’élèvent plusieurs ponts, et surtout l’ancien et grandiose Pont des Chaînes qui relie les deux villes, Buda et Pest, il «ne les fusionne pas ensemble, mais les maintient unies» a dit le Pape dans son deuxième discours aux représentants du Conseil œcuménique des Eglises et à diverses communautés juives de Hongrie. Ce pont qui unit sans fusionner est le modèle de liens personnels et sociaux que le Pape propose aux croyants, un levain dans la société car, «chaque fois qu’il y a eu la tentation d’absorber l’autre, l’on n’a pas construit mais l’on a détruit, ainsi que lorsque l’on a voulu le ghettoïser plutôt que de l’intégrer». Il est donc nécessaire de repartir d’une «éducation à la fraternité» qui fait obstacle à «la résurgence de la haine» et «la menace de l’antisémitisme, qui continue de se répandre en Europe et ailleurs».
Racines. En repartant toujours du Pont des Chaînes, le Pape a rappelé qu’il s’agit du plus ancien pont de la ville, traversé par de nombreuses générations, et qui, à ce titre, nous invite «à nous souvenir du passé». Nous y trouverons la souffrance et l’obscurité, les malentendus et les persécutions, mais en allant aux racines, nous découvrirons un patrimoine spirituel commun plus grand. Tel est le trésor qui nous permet de construire ensemble un avenir différent». Mémoire et futur se touchent, avenir et racines s’embrassent. Et là, le Pape, s’adressant toujours aux communautés juives hongroises, a cité la figure de Miklós Radnóti, un grand poète «brisé» par la fureur du nazisme, «dans l’abîme le plus sombre et le plus dépravé de l’humanité» mais qui a continué à donner son art à ceux qui viendraient après lui, à nous. François a souhaité rappeler un de ses derniers vers, le plus inten-se et le plus troublant: «Moi aussi, je suis une racine maintenant... J’étais une fleur, je suis devenu une racine» et il a ajouté une réflexion personnelle sur le fait que «nous aussi nous sommes appelés à devenir des racines. Souvent nous cherchons des fruits, ou des résultats, des affirmations» et ainsi, dit le Pape, nous oublions que dans les mains sages de Dieu nous sommes tous des semences: «Des semences qui se transforment en racines souterraines, des racines qui nourrissent la mémoire et font germer l’avenir». C’est peut-être à cela que pensait le Pape quand, dans son premier discours du matin aux évêques, il a repris l’image, citée à plusieurs reprises dans le passé, du pasteur qui doit marcher devant le troupeau, pour le guider, au milieu du troupeau, pour sentir son odeur, et derrière le troupeau pour réconforter les derniers, mais, a-t-il ajouté en improvisant, aussi pour prendre du recul et laisser de la place au troupeau, ce peuple saint et fidèle de Dieu qui possède une sagesse, un nez capable de trouver de bons pâturages. Des mots et des images forts, qui ouvrent le scénario à des discours très élevés et exigeants sur le thème de la liberté et de la responsabilité, que nous entendrons dans les prochains jours lors du voyage-pèlerinage du Pape en Slovaquie.
Andrea Monda