Tout commença à Florence, le 22 septembre 1875. Au cours du deuxième congrès national des catholiques italiens, le comte Leopoldo Marzorati proposa la fondation du siège italien de l’Œuvre Saint-Raphaël pour les émigrants, qui existait déjà en Allemagne sous le nom de St. Raphael Verein. Huit ans plus tard, lors de la rencontre préparatoire à Rome du troisième concile plénier de Baltimore, les évêques américains avaient à leur tour écrit d’adopter en Italie le modèle allemand de l’Œuvre Saint-Raphaël, suscitant la curiosité de Mgr Giovanni Battista Scalabrini, qui en famille avait fait l’expérience de l’émigration à travers le départ de frères et de neveux vers l’Argentine. La rencontre avec don Francesco Zaboglio, qui venait de rentrer d’un -voyage aux Etats-Unis donna enfin le coup d’envoi à l’institution d’une œuvre d’assistance aux migrants. Dans l’idée du futur bienheureux, il devait exister une association «à la fois religieuse et laïque» qui puisse aider les migrants lors des départs, des arrivées et dans la recherche et la protection du travail. Son idée, tout d’abord exposée au cardinal Giovanni Simeone, préfet de Propaganda Fide, fut ensuite soumise au Pape Léon xiii qui demanda à Giovanni Battista Scalabrini de se rendre en Amérique afin de trouver une manière de développer ce projet, sur la base des exigences des Italiens et des missionnaires. Les difficultés rencontrées pour donner corps à cette idée, poussèrent l’évêque de Piacenza à fonder en 1887, à New York, la Congrégation des missionnaires de Saint-Charles Borromée. De fait, ces événements se croisèrent dans les rues de New York avec les revendications toujours plus tumultueuses des ouvriers et représenta la réponse catholique et évangélisatrice aux actes de violence amorcés par les manifestations anarchistes et socialistes. Le 12 juillet 1888, les premiers quatre prêtres de la congrégation arrivèrent à New York. Giovanni Battista Scalabrini, bien qu’ayant accepté le veto du Vatican pour les comités laïcs, travailla incessamment à l’idée d’une œuvre laïque en faveur de l’émigration italienne et enfin, en 1889, il fonda à Piacenza le Comité central de l’association de patronat, créant de fait une association organique qui impliquait touts les aspects du phénomène migratoire et du travail et concernait tous les aspects publics et privés. L’idée scalabrinienne rencontra la réaction véhémente des évêques américains et lança une polémique qui dura des mois. Le 30 juin 1891, le père Pietro Bandini, envoyé quatre mois auparavant à New York, réussit à instituer officiellement la société Saint-Raphaël qui fut présidée par l’archevêque Michael Augustine Corrigan. La Italian St. Raphael Society apporta son soutien à plus de 20.000 de ses concitoyens immigrés, leur trouvant un logement et du travail. Au siège de la Italian St. Raphael Society au n. 113 de Waverly Place, à Greenwich Village, à New York, Pietro Bandini avait ouvert une chapelle consacrée à la Madone de Pompéi qui commença à être fréquentée également par les nombreux italiens qui vivaient dans le quartier, au point qu’à partir de 1892 le père Bandini en fit une paroisse, pour servir les besoins spirituels des résidents italiens. Ayant très vite besoin de locaux plus vastes pour la society et la paroisse, en 1895 Pietro Bandini loua dans ce but les locaux d’une ancienne église protestante aux nn. 214-218 de Sullivan Street. La paroisse de la Madone de Pompéi représenta l’un des joyaux les plus brillants de l’œuvre grandiose réalisée par le bienheureux Giovanni Battista Scalabrini, fondateur de deux congrégations religieuses et co-fondateur de trois autres au service des migrants.
Né à Fino Mornasco, Côme, le 8 juillet 1836, Giovanni Battista était le troisième des huit enfants d’un commerçant en vins. Ordonné prêtre à 24 ans, Scalabrini devint très vite enseignant et ensuite, de 1868 à 1870, directeur du petit séminaire de Côme, se prodiguant dans le même temps pour aider les malades du choléra qui, à l’époque, frappa durement la ville et qui fit de nombreuses victimes dans les campagnes autour de la ville.
En 1870, il fut nommé curé de Bartolomeo, une paroisse dans les faubourgs de Côme composée pour la majeure partie d’ouvriers, dont les femmes travaillaient sur les métiers à tisser chez elles pour arrondir le salaire de leurs maris. Il se prodigua pour améliorer le statut social des travailleurs et soutenir l’intégrité des familles, commençant à s’intéresser aux thèmes sociaux qui, en 1899, furent l’objet de l’opuscule intitulé: Le socialisme et l’action du clergé. Très attentif à la formation des enfants, il rédigea pour eux un petit catéchisme et créa un jardin d’enfant. Le religieux de Côme vécut en première personne le phénomène de l’émigration italienne de masse vers les Amériques et il en comprit pleinement les conséquences. En 1872, Giovanni Battista Scalabrini, commença une série de conférences sur le concile Vatican i et sur les enseignements de celui-ci, qu’il soutenait pleinement. La publication de ces conférences, à travers son célèbre contemporain, don Giovanni Bosco, arrivèrent à l’attention du Pape Pie ix , qui décida de nommer le jeune curé comasque à la tête du diocèse de Piacenza: c’était le 28 janvier 1876. Le jeune évêque se rendit immédiatement compte de la -conséquence dévastatrice de l’immigration, aussi bien pour les émigrés que pour les familles restées dans le pays, mûrissant la conscience de devoir allers vers ceux qui partaient seuls vers l’inconnu, sans assistance, sans sécurité, dans un monde entièrement nouveau et plein de danger.
La naissance de l’attention aux phénomènes migratoires fut racontée par Scalabrini lui-même: «A Milan, il y a de nombreuses années, je fus le spectateur d’une scène qui laissa dans mon âme une impression de tristesse profonde. De passage à la gare, je vis le vaste hall, les portiques latéraux et la place adjacente envahis par trois ou quatre centaines d’individus pauvrement vêtus, divisés en groupes différents. Sur leurs visages burinés par le soleil, sillonnés par les rides précoces que la privation a coutume d’imprimer, transparaissait le tumulte des sentiments qui agitaient leur cœur à ce moment-là. C’étaient des vieux ployés par l’âge et par la fatigue, des hommes dans la fleur de la virilité, des femmes qui tiraient derrière elles ou portaient accrochés à leur cou des bébés, des petits garçons et des petites filles tous rassemblés par une seule pensée, tous orientés vers un objectif commun. C’étaient des migrants».
L’évêque de Piacenza commença une intense correspondance pour connaître l’avis de nombreux spécialistes et avec la permission du Pape Léon xiii , le 28 novembre 1887, il créa une société de missionnaires et organisa des missions et des paroisses, tout d’abord aux Etats-Unis et au Brésil. Quelques années plus tard, il compléta son action pastorale avec l’aide des religieuses. Les premières à répondre à son appel furent les religieuses de la mère Cabrini, suivies ensuite par celles de la mère Clelia Merloni. En 1895, il créa également une congrégation de sœurs missionnaires pour les jeunes orphelins dans les métropoles brésiliennes. En 1901, il visita les missions d’Amérique du Nord où il se rendit compte de l’œuvre de ses missionnaires, des besoins des immigrés et de la politique de l’Eglise catholique américaine et de ses évêques, devenant très ami avec certains. Trois ans plus tard, il visita également le Brésil, atteignant ses communautés à cheval et affrontant de nombreuses difficultés et souffrances physiques, mais rencontrant un accueil enthousiaste. Giovanni Battista Scalabrini se rendit compte que l’émigration n’est pas un phénomène passager, mais qu’elle a été et sera toujours un phénomène humain permanent, c’est pourquoi l’Eglise devra toujours être attentive et active dans ce domaine et inclure son attention aux migrants à sa mission intégrale pour l’évangélisation des peuples. Du Brésil, en 1904, il envoya une lettre dans laquelle il adressait un appel plein d’inquiétude et pressant au Pape Pie x pour qu’il lance une œuvre en faveur des émigrés du monde entier et de toutes les nationalités, en promulguant des directives claires pour protéger et servir les migrants également là où les évêques et les curés étaient un peu réticents à s’intéresser à eux. Le bienheureux Giovanni Battista mourut à Piacenza le 1er juin 1905, offrant au Pape et à l’Eglise son grand projet pour une Eglise au cœur du monde migrant.
Generoso D’Agnese