Très cher athlète,
Quand la flamme, partie d’Olympie, allumera le brasier, ce sera comme entendre l’écho d’une voix amie: «Nous y voilà, finalement: je t’attendais, tu m’attendais. Nous nous attendions».
Le feu, apporté par les porteurs de la torche tels d’antiques messagers, brûlera pendant toute la durée des Jeux olympiques. Quand je pen-se au sport, j’aime beaucoup l’image du feu: il est brillant, net, il ressemble à ce qui éblouit. Puis, quand il devient flamme, il ne fait plus de fumée: il est mystérieux, brillant. Il est le feu sacré de la passion, celui qui réchauffe sans consumer. Comme cela arrive à Moïse: «Le buisson était embrasé mais le buisson ne se consumait pas» (Ex 3, 2).
Je relie la passion à l’exaltation pour quelque chose d’immense, mais aussi à la douleur pénible de la souffrance. La même passion qui, d’une salle de sport anonyme d’une ville, de ta ville, t’a conduit jusqu’ici, à un pas du grand rêve. J’essaie de m’imaginer tes mois d’attente, de préparation. Pour certains, cela a pris des années: d’anonymat, de solitude, de planification. Toi, ton entraîneur et cette voix qui, de l’intérieur, est là maintenant et te chuchote: «Voilà ta grande occasion: -joue-la à fond, fais-la briller!». Ne pas la jouer pourrait signifier, un jour, avoir des regrets: et l’une des pires choses n’est pas de ne jamais avoir eu d’occasion, mais de l’avoir eue et de ne pas avoir été capable de la saisir. Les Jeux olympiques sont ta grande occasion sportive.
Les Jeux olympiques sont le rendez-vous suprême pour la meilleure jeunesse du sport: il n’en existe aucun de plus élevé pour un athlète. C’est une des plus belles idées jamais nées de l’imagination de l’homme, l’épreuve décisive de tes capacités physiques. Là, au plus fort de la prestation, le monde entier te regarde, assis sur les gradins ou devant la télévision. Toi-même tu regardes le monde. Comme pour lui dire: «Je suis là, j’ai de la valeur, mon pays est fier de moi!».
Les Jeux olympiques ne durent guère plus d’un instant: pour certains même moins de dix secondes. Pour d’autres quelques heures, d’autres encore poursuivent la médaille d’or tout au long de journées, d’exercices et de défis. Pour tous cependant, l’exercice d’une discipline contient aussi une sorte de présentation: «C’est moi, je suis arrivé ici, c’est mon maximum».
Quand je vous observe, avec une certaine admiration pour ce que vous réussissez à faire, je pense que le sport, plus que construire une personnalité, la révèle. Vous arrivez chacun aux Jeux olympiques avec votre histoire, votre chemin, vos rencontres: c’est votre tout humain, avant même d’être athlétique. Et, dans votre unicité, vous dites qui vous êtes, d’où vous venez, jusqu’où vous êtes parvenus à vous propulser. Voilà pourquoi tu pourras aussi accepter la défaite, mais je suis convaincu que tu n’accepterais jamais, de toi-même, de renoncer à essayer. C’est l’une des lois les plus précieuses de l’âge de la jeunesse: chaque heure perdue aujourd’hui est un peu de bonheur en moins demain.
Alors rêve: explore, repousse ta limite, défie l’adversaire. Fais-le avec style, mais sans perdre le sens de la mesure, en offrant ce qu’il y a de meilleur dans ton cœur avant même que dans ton physique.
Sans raccourcis: mieux vaut une défaite propre qu’une victoire sale!
Et pendant que tu t’impliques, n’oublie pas l’amour pour ce que tu fais, indépendamment du résultat: le risque est grand, en courant à tout prix après une médaille, de prendre un raccourci, de trahir la confiance reçue. Certains, malgré tout leur engagement, ne gagneront aucune médaille: beaucoup parleront de défaite, et même de débâcle.
Pourtant, si l’on y pense, même la défaite cache une victoire: c’est tout le chemin que tu as parcouru pour arriver jusque là, les choses que tu as apprises et celles pour lesquelles tu as souffert, le beau et le «mauvais» pour relever un défi. Ne la rejette pas: observe-la, écoute-la. Il y a des entreprises qui sont nées exactement là où tout le monde voyait la fin de l’athlète.
Dans ma vie, j’ai découvert que dans une défaite, sont cachées aussi des occasions de méditation: si tu acceptes de briser la coquille, l’amande que tu y trouves a du goût.
La victoire à tout prix, en revanche, peut se transformer en arrogance, en ayant l’illusion que, puisque tu es arrivé là, tout t’est permis. Il n’en est pas ainsi! Le sport est engagement, sacrifice: avant même tout cela, il est loyauté. Se doper n’est pas seulement tromper ton adversaire, c’est piétiner ta propre dignité. C’est voler à Dieu la flamme divine. Une médaille remportée ainsi aujourd’hui, quelle valeur pourra-t-
elle avoir demain?
«La vie est une opportunité, saisis-la — écrit sainte Teresa de Calcutta — La vie est un défi, affronte-le». Saisis-le: le talent, quand il croise une opportunité, devient d’or, d’argent, de bronze...
A travers ton geste sportif, c’est comme si tu donnais une annonce de beauté au monde, perturbé par mille disgrâces: «Il y a un îlot d’opportunités, au milieu d’une mer de difficultés».
Ton appel n’est pas un appel aux armes. C’est beaucoup plus: montrer que dans une guerre, on tue sans jamais vaincre, tandis que dans le sport, on gagne sans jamais tuer. En -jouant ainsi, tu pourras peut-être perdre, mais tu auras laissé le monde (non seulement celui du sport) un peu plus beau que comme tu l’as trouvé.
A toi, qui portes la force des rêves et de l’impossible, je confie mon espérance: qu’aucun jeune n’accepte que d’autres signent la vie à sa place.
C’est l’espérance que saint Paul, un très grand lutteur, a confiée à son ami Timothée: «J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi» (2 Tim 4, 7). Mets à profit cette opportunité, dépense-toi à fond, garde ta passion. Et si quelqu’un te dit «ça suffit, renonce!», toi, essaie encore une fois: résiste un instant de plus. Cela pourrait être l’instant décisif: il y a des instants qui, à eux seuls, valent tout l’or du monde.
La vie est le plus grand de ces instants.
Je t’accompagne par ma prière: puisses-tu devenir le meilleur de ce que tu conserves dans ton cœur. Toi, si tu peux, souviens-toi de moi: pour que je parvienne à faire de même.
Pape François