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Ek’Abana accueille des jeunes filles accusées de sorcellerie en République démocratique du Congo

Il suffit d’un rien
pour «devenir» sorcière

En haut et ci-dessus: Des enfants accueillis par Ek’Abana
04 mai 2021

Clarisse est une petite fille de 13 ans. Elle ne parle pas, elle ne communique pas. Elle dit seulement son nom et le mot «maman». Elle a été trouvée sur un marché et, pensant qu’elle était une sorcière, on l’a conduite dans une secte, où elle a été soumise à des séances d’exorcisme. Ensuite, vu leur inutilité, on l’a laissée à Ek’Abana (La Maison des petites filles en langue Mashi) en disant qu’elle avait été sauvée de la foule qui voulait la brûler. Ek’Abana est un centre d’accueil pour petites filles accusées de sorcellerie né en 2002 à Bukavu, chef-lieu du Sud Kivu, en République démocratique du Congo. Le phénomène des enfants sorciers est présent depuis environs trente ans dans de nombreux pays de l’Afrique sub-saharienne. Le Congo est l’un des pays les plus touchés.

Des données exactes n’existent pas, mais seulement à Kinshasa, la capitale, on parle d’au moins 40.000 enfants, dont 80% ont été abandonnés par leurs parents à la suite d’une crise économique, d’un deuil, d’une maladie, dont ces enfants sont accusés. Il s’agit d’enfants de tous les âges, même de quelques jours, qui, en raison d’une caractéristique, sont perçus comme étant différents: trop ou pas assez vifs, porteurs de handicaps, albinos et jumeaux. Dans la plupart des cas, le phénomène concerne des familles dans des conditions de totale pauvreté à cause d’une guerre infinie et de la situation d’extrême instabilité dans laquelle se trouve le pays, en particulier dans la partie est. L’accusation de sorcellerie devient le prétexte pour se libérer d’une bouche à nourrir.

Actuellement, 39 petites filles de 2 à 15 ans vivent à Ek’Abana. Il y a aussi trois petits garçons. Une exception, car le centre accueille surtout des filles, qui représentent 90% des victimes. Les petites filles accueillies sont envoyées à l’école et on les fait participer à diverses activités pour apprendre un métier. «Nous cherchons à offrir un environnement serein», explique Natalina Isella, missionnaire laïque, au Congo depuis 1976. «Il est important de les écouter et de beaucoup parler avec elles, pour qu’elles puissent surmonter le traumatisme de l’exclusion. Elles doivent retrouver la confiance dans les autres et surtout en elles-mêmes». En effet, après la terrible expérience de rejet, les petites filles se méfient des adultes et dénoncent un fort manque d’estime personnelle. Elles arrivent souvent à croire qu’elles sont vraiment porteuses d’une influence maléfique et éprouvent des remords et des sentiments de culpabilité. L’écoute et l’accueil deviennent les conditions d’une activité thérapeutique qui puisse les aider à surmonter les traumatismes subis et à se sentir à nouveau aimées.

Souvent, derrière ce phénomène, on trouve les sectes présentes par milliers dans le pays, qui, s’appuyant sur des croyances et des superstitions, effectuent des exorcismes violents sur des petites filles sans défense dans le but de se procurer de l’argent. Comme dans le cas d’Ivette, 10 ans, qui après la mort de sa mère vivait avec son père et sa nouvelle femme. Cette femme, influencée par une secte, soutenait que la petit fille était une sorcière. Conduite dans ce qu’on appelle la chambre de prière, la petite fille a été soumise à des tortures avec un fer brûlant pour la pousser à confesser des fautes inexistantes et pour la libérer des esprits maléfiques. Après ce traitement, Ivette a fini dans la rue où, pendant un an, elle a vécu d’expédients: des restes de poissons trouvés sur la rive du lac comme repas, de petits larcins. Elle dormait sous les étalages des marchés, elle prenait des drogues et se procurait de quoi vivre en vendant son corps. La police l’a trouvée et l’a conduite à Ek’Abana, où elle est restée trois ans. Le Centre, à travers le microcrédit, a aidé son père à construire une maison où Ivette, avec la troisième femme de celui-ci, a pu recommencer une nouvelle vie.

«Notre objectif est celui de réinsérer les enfants dans leurs familles d’origine» raconte Natalina Isella. «Nous organisons des rencontres avec les parents pour expliquer l’inconsistance des accusations et nous agissons également sur la communauté, parce que le problème naît parfois à partir de là. Nous continuons à suivre les enfants, même une fois qu’ils sont réinsérés, pour nous assurer que tout va bien et, dans certains cas, nous accordons un microcrédit aux familles pour les aider à subvenir à leurs besoins».

A ce jour, 47 petites filles sont rentrées chez elles et sont suivies par le centre, qui paye les frais scolaires et apporte un soutien aux parents du point de vue psychologique. En 2020, 17 familles ont été réunies, alors que 8 autres petites filles ont trouvé une famille d’accueil. Il y a ensuite 1.450 may mihogo, des enfants vulnérables auxquels on paye leurs études. En effet, depuis quelques années le centre prend en charge tous les cas de détresse infantile, abandons, maladies graves, incapacité ou absence des parents, mauvais traitements. «Cette situation est également due à la dégradation morale et aux conséquences de la guerre qui dévaste ce pays», poursuit Natalina Isella. «De nombreuses familles sont désagrégées, tant d’autres sont monoparentales, car le père est parti pour combattre ou pour aller travailler dans les mines, sans plus donner de nouvelles. Et les enfants en payent les conséquences. Quand ils arrivent, ils sont souvent atteints de malnutrition chronique».

Les activités sont nombreuses. Par exemple, la production des kikapos, des paniers tressés avec des rubans de plastique par les jeunes filles et les mères sans travail. C’est une source de revenus, mais également une manière de réduire la présence des sacs en plastique qui infestent la ville. La sensibilisation à propos de la gestion des ordures et de la protection de l’environnement fait partie d’un projet plus vaste, le Mepe (Mouvement d’éducation à la paix et à l’environnement) qui prévoit des rencontres de sensibilisation avec les communautés de base. Le groupe «Intégration et Inclusion» s’occupe, en revanche, des enfants porteurs d’un handicap physique ou mental souvent oubliés.

Dans son action, Ek’Abana compte non seulement sur des agents professionnels et des apprenties, mais aussi sur des stagiaires, qui s’occupent de visites guidées et de recherche scientifique. En 2020, 105 stagiaires de l’école secondaire et 37 de l’université ont été encadrés.

La structure, qui survit grâce à des fonds extérieurs provenant de personnes ou d’institutions privées, a recueilli plus de 500 petites filles en 20 ans. Les visages sont différents, mais les histoires suivent un scénario déjà écrit. Solange a été accusée de sorcellerie à la suite de la mort d’un de ses frères. Malmenée, elle s’enfuit de chez elle. La police la trouve et la conduit à Ek’Abana. Après des recherches compliquées (la petite fille ne voulait pas dire où elle habitait) on retrouve sa famille. Natalina Isella parle longuement avec le père qui décide de la reprendre. Mais le soir, un autre de ses frères tombe malade avec les mêmes symptômes que le premier. Les parents obligent alors Solange à le soigner pour le faire guérir, mais le matin le petit garçon a encore une fièvre élevée, elle est alors attachée et battue. Solange réussit à se libérer et revient à Ek’Abana. A présent, elle vit ici. Menue et tranquille, elle regarde avec attention un dessin animé avec ses compagnes. Ses yeux noirs se plissent dans un sourire. Pendant un instant, elle semble avoir oublié.

Marina Piccone