· Cité du Vatican ·

Entretien avec le père Gregor Geiger du Studium Biblicum Franciscanum

Fragments de paroles
de Qumran

L’une des centaines de grottes du site archéologique de Qumran
27 avril 2021

Ces dernières semaines, les médias du monde entier ont annoncé la découverte extraordinaire de plusieurs fragments bibliques retrouvés dans l’une des centaines de grottes du site archéologique de Qumran. Nous avons cherché à mieux comprendre la portée de cet événement en nous entretenant avec Gregor Geiger, du prestigieux Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem. Gregor Geiger, 52 ans, allemand de Hardheim, frère franciscain, depuis plus de 20 ans à Jérusalem, où il enseigne la langue et la culture hébraïque antique, est considéré parmi les chercheurs du Biblicum comme le spécialiste des célèbres Dead sea scrolls. «Ce sont de très petits fragments, mais cela ne diminue pas l’importance de la découverte. Tout d’abord parce qu’il s’agit de la première découverte depuis environ soixante ans provenant de -fouilles “contrôlées”, c’est-à-dire exécutées par des équipes d’archéologues spécialisés de formation universitaire, et autorisées par les autorités israéliennes. Les découvertes précédentes provenaient, en revanche, de fouilles effectuées de manière plus ou moins fortuite et légale par des bergers bédouins ou des archéologues amateurs».

Comment est-il possible que, depuis la première découverte en 1946, de telles découvertes aient encore lieu aujourd’hui?

Il faut tout d’abord considérer que le territoire en question était jusqu’en 1967 sous la juridiction du Royaume de Jordanie, et qu’après la guerre des 6 jours, cette zone était une frontière où régnaient de fortes tensions; ce n’était pas du tout, en somme, un climat adapté à une campagne archéologique sérieuse. Cela explique pourquoi, pendant de nombreuses années, la recherche a été l’apanage de bédouins et de trafiquants d’antiquités. Ensuite, quand des fouilles plus sérieuses ont commencé, conduites par les universités israéliennes, il s’est agi davantage de sondages que de véritables fouilles, en raison de l’ampleur des lieux. Pour la seule zone de Qumran, on parle de centaines de grottes à explorer, mais si nous prolongeons l’observation le long de tous les waidi qui s’étendent plus au sud jusqu’à Ein Geidi, le long de tout le désert de Judée, nous parlons probablement de milliers de grottes et d’anfractuosités à découvrir. Pour autant que nous le sachions, par exemple, la grotte où a eu lieu la découverte de ces derniers jours avait elle aussi déjà été visitée dans le passé par des archéologues, qui n’était cependant pas allés au-delà de cinquante centimètres de fouilles.

A quand remontent les pièces retrouvées ces derniers jours?

Il nous semble comprendre qu’il s’agit de matériel caché dans ces grottes à l’époque de la deuxième révolte judéenne, entre 132 et 135, c’est-à-dire plus de 60 ans après la destruction du temple d’Hérode, mais on peut présumer qu’il s’agit de matériel provenant de Jérusalem, produit quelques décennies auparavant. Nous devons attendre les analyses de datation au carbone-14, mais ils s’agit vraisemblablement de manuscrits produits entre la fin du ier et le début du iie siècle après Jésus Christ.

Comment est-il possible que, bien que détériorés, ces papyrus soient parvenus jusqu’à notre époque?

C’est là le grand secret de Qum-ran: un climat extrêmement sec, presque totalement privé d’humidité, et peut-être également avec un certain degré de salinité dans l’air provenant de la mer Morte a permis la conservation.

Et en quoi consistent ces fragments?

Il s’agit de petites phrases tronquées de passages de la Bible, écrits en grec, mais de main hébraïque. Nous le comprenons au fait que le nom de Dieu, en signe de respect, est toujours rapporté en hébreu dans le texte grec. Ce sont des passages provenant des livres de Zacharie et de Nahum. Il s’agissait probablement d’un unique rouleau contenant les 12 prophètes considérés comme mineurs. La grande importance de cette découverte peut être résumée en deux points. Tout d’abord, il y a très peu de fragments de textes bibliques qui remontent à cette époque; en général, les textes bibliques les plus antiques en notre possession remontent au v e ou vi e siècle. Et cette donnée est d’une importance capitale pour comprendre la fidélité des textes qui nous sont parvenus par rapport aux originaux. Il y a souvent de petites variations, mais significatives, à ce que nous considérons comme le texte originel «des 70». Deuxième élément: le fait que ces découvertes aient eu lieu dans une grotte déjà explorée par le passé nous laisse espérer que dans les mêmes sites déjà observés, on pourra encore trouver en abondance du matériel inédit de même intérêt, ou encore plus grand. Des observations plus sûres ne pourront cependant être faites qu’une fois que les universités qui ont effectué la campagne de fouilles auront publié officiellement les résultats de leur travail et que les documents et les photos des fragments deviendront accessibles à tous, également à nous du Studium Biblicum. En ce qui nous concerne, dans notre Musée de Terre sainte, à côté de notre faculté, dans le complexe conventuel de la Flagellation, nous conservons et nous exposons plusieurs fragments provenant de Qum-ran. Dans les années cinquante et -soixante du siècle dernier, il existait un certain marché de ce matériel provenant des fouilles improvisées dont j’ai parlé plus haut; à présent il n’existe heureusement plus. Aussi bien parce que les autorités israéliennes ont interrompu ce commerce, que parce que les prix demandés par les marchands d’antiquités étaient devenus exorbitants, et également parce qu’il circulait de nombreux objets — comme vous le dites en français — «en toc». L’Ecole biblique possède une belle collection d’objets provenant de Qumran, parce que dans les années cinquante et soixante, elle avait été désignée de manière officielle par le gouvernement jordanien pour effectuer des fouilles.

On peut donc compter ces fragments parmi les plus antiques de la Bible que nous possédons?

Dans cette zone, des fragments remontant au iiie siècle avant Jésus Christ ont également été retrouvés. En réalité, il existe un passage beaucoup plus antique, qui remonte au ve siècle et qui a été retrouvé en Egypte, contenant le Décalogue du Deutéronome. Mais il ne s’agit probablement pas d’un extrait de la Bible, mais d’un texte unique, une reproduction dans un but de dévotion.

Roberto Cetera