Voyage en Irak - Bagdad
Respect, droits et protection
«Reconnaissance, respect, droits et protection» pour «toutes les communautés religieuses»: c’est ce qu’a demandé le Pape François dans le premier discours prononcé lors du -voyage en Irak. Immédiatement après son arrivée à Bagdad, vers midi, le vendredi 5 mars, le Pape a accompli une visite de courtoisie au chef de l’Etat au palais présidentiel, au terme de laquelle il a rencontré, dans le grand salon, les autorités, les représentants de la société civile et les membres du corps diplomatique. La veille, le Pape s’était rendu comme de coutume à Sainte-Marie-Majeure, où il avait confié son voyage à la Salus populi romani. Nous publions ci-dessous le discours prononcé par le Pape après le salut du président irakien Salih.
Monsieur le Président,
Membres du gouvernement et du Corps diplomatique
Autorités distinguées,
Représentants de la société civile,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de l’opportunité qui m’est offerte de faire cette visite apostolique, longtemps attendue et désirée, en République d’Irak, de venir sur cette terre, berceau de la civilisation, étroitement liée, à travers le patriarche Abraham et de nombreux prophètes, à l’histoire du salut et aux grandes traditions religieuses du judaïsme, du christianisme et de l’islam. J’exprime ma gratitude à Mon-sieur le président Salih pour son invitation et pour les aimables paroles de bienvenue qu’il m’a adressées également au nom des autres autorités et de son bien aimé peuple. Je salue également les membres du Corps diplomatique et les représentants de la société civile.
Je salue affectueusement les évêques et les prêtres, les religieux et les religieuses et tous les fidèles de l’Eglise catholique. Je viens en pèlerin pour les encourager dans leur témoignage de foi, d’espérance et de charité dans la société irakienne. Je salue aussi les membres des autres Eglises et communautés ecclésiales chrétiennes, les musulmans et les représentants des autres traditions religieuses. Que Dieu nous accorde de marcher ensemble, comme des frères et des sœurs, dans «la forte conviction que les vrais enseignements des religions invitent à demeurer ancrés dans les valeurs de la paix […] de la connaissance réciproque, de la fraternité humaine et de la coexistence commune» (Document sur la fraternité humaine, Abu Dhabi, 4 février 2019).
Ma visite a lieu au moment où le monde entier cherche à sortir de la crise de la pandémie de la Covid-19 qui non seulement a touché la santé de nombreuses personnes, mais qui a aussi provoqué la détérioration de conditions sociales et économiques déjà marquées par la fragilité et l’instabilité. Cette crise exige des efforts communs de la part de chacun pour faire les nombreux pas nécessaires, parmi lesquels une distribution équitable des vaccins pour tous. Mais cela ne suffit pas: cette crise est surtout un appel à «repenser nos modes de vie, […] le sens de notre existence» (Enc. Fratelli tutti, n. 33). Il s’agit de sortir de ce temps d’épreuve meilleurs que nous étions avant; de construire un avenir fondé davantage sur ce qui nous unit que sur ce qui nous divise.
Au cours des dernières décennies, l’Irak a souffert des désastres des guerres, du fléau du terrorisme et des conflits sectaires souvent fondés sur un fondamentalisme qui ne peut accepter la coexistence pacifique de différents groupes ethniques et religieux, d’idées et de cultures diverses. Tout cela a apporté mort, destructions, ruines encore visibles, et pas seulement au niveau matériel: les dommages sont encore plus profonds si l’on pense aux blessures des cœurs de tant de personnes et de communautés qui auront besoin d’années pour guérir. Et ici, parmi les nombreuses personnes qui ont souffert, je ne peux pas ne pas rappeler les Yézidis, victimes innocentes de barbaries insensées et inhumaines, persécutés et tués en raison de leur appartenance religieuse dont l’identité même et la survie ont été menacées. Par conséquent, c’est seulement si nous réussissons à nous regarder entre nous avec nos différences, en tant que membres de la même famille humaine, que nous pourrons engager un véritable processus de reconstruction et laisser aux générations futures un monde meilleur, plus juste et plus humain. A cet égard, la diversité religieuse, culturelle et ethnique, qui a caractérisé la société irakienne pendant des millénaires, est une précieuse ressource à laquelle puiser, non pas un obstacle à éliminer. Aujourd’hui, l’Irak est appelé à montrer à tous, en particulier au Moyen-Orient, que les différences, plutôt que de donner lieu à des conflits doivent coopérer en harmonie dans la vie civile.
La coexistence fraternelle a besoin du dialogue patient et sincère, protégé par la justice et le respect du droit. Ce n’est pas un exercice facile. Il demande effort et engagement de la part de tous pour dépasser rivalités et oppositions, et il requiert de se parler à partir de l’identité la plus profonde que nous avons, celle de fils de l’unique Dieu et Créateur (cf. Conc. œcum. Vat. ii, Décl. Nostra aetate, n. 5). Sur la base de ce principe, le Saint-Siège, en Irak comme ailleurs, ne se lasse pas d’en appeler aux autorités compétentes afin qu’elles accordent à toutes les communautés religieuses reconnaissance, respect, droits et protection. J’apprécie les efforts déjà entrepris en ce sens et j’unis ma voix à celle des hommes et des femmes de bonne volonté pour qu’elles persévèrent au bénéfice du pays.
Une société qui porte l’empreinte de l’unité fraternelle est une société dont les membres vivent dans la solidarité. «La solidarité nous aide à regarder l’autre […] comme notre prochain, compagnon de route» (Message pour la 54e Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2021). Elle est une vertu qui nous porte à faire des gestes concrets de soin et de service, avec une attention particulière aux plus vulnérables et aux plus nécessiteux. Je pense à ceux qui, à cause de la violence, de la persécution et du terrorisme, ont perdu des membres de leurs familles et des personnes chères, leur maison ou des biens de première nécessité. Mais je pense à tous ceux qui luttent chaque jour à la recherche de sécurité et de moyens pour avancer, alors que le chômage et la pauvreté augmentent. «La con-science que nous avons d’être respon-sables de la fragilité des autres» (Fratelli tutti, n. 115) devrait inspirer tout effort pour créer des possibilités concrètes, que ce soit sur le plan économique ou dans le domaine de l’éducation, comme aussi pour le soin de la création, notre maison commune. Après une crise, il ne suffit pas de reconstruire, il faut le faire bien, de manière à ce que tous puissent mener une vie digne. On ne sort pas d’une crise pareils qu’avant: on en sort ou meilleurs, ou pires.
En tant que responsables politiques et diplomatiques, vous êtes appelés à promouvoir cet esprit de solidarité fraternelle. Il est nécessaire de lutter contre la plaie de la corruption, les abus de pouvoir et l’illégalité, mais ce n’est pas suffisant. Il faut en même temps édifier la justice, faire grandir l’honnêteté, la transparence et renforcer les institutions à cet effet. De cette manière, la stabilité peut grandir et une saine politique peut se développer, capable d’offrir à tous, en particulier aux jeunes — si nombreux dans ce pays —, l’espérance d’un avenir meilleur.
Monsieur le président, autorités distinguées, chers amis! Je viens comme un pénitent qui demande pardon au Ciel et aux frères pour de nombreuses destructions et cruautés. Je viens comme pèlerin de paix, au nom du Christ, Prince de la paix. Combien avons-nous prié, ces années, pour la paix en Irak! Saint Jean-Paul ii n’a pas épargné les initiatives, et il a surtout offert prières et souffrances pour cela. Et Dieu écoute, écoute toujours! C’est à nous de l’écouter, de marcher dans ses voies. Que se taisent les armes! Que la diffusion en soit limitée, ici et partout! Que cessent les intérêts partisans, ces intérêts extérieurs qui se désintéressent de la population locale. Que l’on donne la parole aux bâtisseurs, aux artisans de paix; aux petits, aux pauvres, aux personnes simples qui veulent vivre, travailler, prier en paix! Assez de violences, d’extrémismes, de factions, d’intolérances! Qu’on laisse de la place à tous les citoyens qui veulent construire ensemble ce pays dans le dialogue, dans une confrontation franche et sincère, constructive; à celui qui s’engage pour la réconciliation et qui, pour le bien commun, est prêt à mettre de côté ses intérêts particuliers! Durant ces années, l’Irak a cherché à poser les bases d’une société démocratique. Il est indispensable en ce sens d’assurer la participation de tous les groupes politiques, sociaux et religieux, et de garantir les droits fondamentaux de tous les citoyens. Que personne ne soit considéré comme citoyen de deuxième classe. J’encourage les pas accomplis jusqu’ici sur ce parcours et j’espère qu’ils renforceront la sécurité et la concorde.
La Communauté internationale a, elle aussi, un rôle décisif à jouer dans la promotion de la paix sur cette terre et dans tout le Moyen-Orient. Comme nous l’avons vu pendant le long conflit en Syrie toute proche — commencé cela fait dix ans ces jours-ci! —, les défis interpellent toujours davantage l’ensemble de la famille humaine. Ceux-ci requièrent une coopération à l’échelle mondiale dans le but d’affronter également les inégalités économiques et les ten-sions régionales qui menacent la stabilité de ces terres. Je remercie les Etats et les Organisations internationales qui œuvrent en Irak pour la reconstruction et pour procurer assistance aux réfugiés, aux déplacés internes et à ceux qui ont du mal à retourner chez eux, en rendant disponibles dans le pays nourriture, eau, logements, services sanitaires et hygiéniques, comme aussi des programmes en faveur de la réconciliation et de l’édification de la paix. Et là, je ne peux pas ne pas rappeler les nombreuses agences, dont plusieurs catholiques, qui assistent avec grand dévouement depuis des années les populations civiles. Venir à la rencontre des besoins essentiels de tant de frères et sœurs est un acte de charité et de justice, et contribue à une paix durable. Je souhaite que les nations ne retirent pas du peuple irakien la main tendue de l’amitié et de l’engagement constructif, mais qu’elles continuent à œuvrer en esprit de commune responsabilité avec les autorités locales, sans imposer des intérêts politiques ou idéologiques.
La religion, de par sa nature, doit être au service de la paix et de la fraternité. Le nom de Dieu ne peut pas être utilisé pour «justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression» (Document sur la fraternité humaine, Abou Dhabi, 4 février 2019). Au contraire, Dieu, qui a créé les êtres humains égaux en dignité et en droit, nous appelle à répandre amour, bienveillance, concorde. En Irak aussi l’Eglise catholique désire être amie de tous et, par le dialogue, collaborer de façon constructive avec les autres religions, à la cause de la paix. La présence très ancienne des chrétiens sur cette terre et leur contribution à la vie du pays constituent un riche héritage qui veut pouvoir se poursuivre au service de tous. Leur participation à la vie publique, en tant que citoyens jouissant pleinement de droits, de liberté et de responsabilité, témoignera qu’un sain pluralisme religieux, ethnique et culturel peut contribuer à la prospérité et à l’harmonie du pays.
Chers amis, je désire exprimer encore une fois ma sincère gratitude pour tout ce que vous avez fait et continuez de faire afin d’édifier une société empreinte d’unité fraternelle, de solidarité et de concorde. Le service du bien commun qui est le vôtre est une œuvre noble. Je demande au Tout-Puissant de vous soutenir dans vos responsabilités et de vous guider tous sur la voie de la sagesse, de la justice et de la vérité. Sur chacun de vous, sur vos familles et sur les personnes qui vous sont chères, et sur tout le peuple irakien, j’invoque l’abondance des bénédictions divines. Merci.