L'avenir se joue
La « servidora » de 8 millions de catholiques : l'Eglise dont je rêve
Il y a quelques années, je me suis rendue à Rome de mon pays, l'Argentine, pour une rencontre internationale entre femmes. Au cours d'un débat sur la formation permanente, la représentante de la Zambie a pris la parole et a dit que dans son pays, seuls les prêtres peuvent étudier la théologie, cette formation n'étant pas considérée comme adéquate pour les femmes laïques. Il en a découlé une discussion intéressante au cours de laquelle des représentantes de pays européens et de pays d'Amérique du nord et du sud ont exposé leur conviction contraire. De fait, certaines d'entre elles avaient déjà terminé leurs études de théologie ou bibliques et enseignaient.
C'était ma première participation au Conseil de l'Union mondiale des organisations féminines catholiques (umofc), avec une trentaine de responsables d'organisations catholiques, très engagées sur le plan ecclésial. Au cours des années qui ont suivi, j'ai compris clairement que la formation est intimement liée à l'histoire de l'Eglise, à la culture et au niveau socio-économique de chaque région.
Je suis actuellement présidente de cette organisation internationale, qui rassemble une centaine d'organisations catholiques, de tous les continents, à laquelle appartiennent environ huit millions de femmes. Les organisations adhérentes peuvent être représentées uniquement par une responsable, étant donné que l'umofc recherche la coresponsabilité des femmes dans l'évangélisation et dans le développement humain intégral. En travaillant chaque jour en contact avec cette diversité et richesse des femmes, j'ai été agréablement impliquée dans la vie de leurs organisations et de leurs pays, et dans la culture et la formation chrétienne qui les caractérise. Je dirais presque que la formation laïque est en pleine évolution et qu'elle pourrait être représentée sur un globe terrestre à travers les couleurs de l'arc-en-ciel, chacune avec des tonalités et des nuances différentes.
760 millions d'analphabètes, dont deux tiers sont des femmes
Au cours de l'urgence mondiale actuelle, les tendances négatives se sont accentuées au niveau socio-économique, ainsi que leur incidence à long terme sur le système éducatif. « La pandémie de covid-19 a provoqué la plus grande perturbation des systèmes éducatifs de l'histoire (…) La crise exacerbe les disparités déjà existantes en matière d'éducation, en réduisant les opportunités pour les enfants les plus vulnérables, les jeunes et les adultes (…). Les pertes dans l'apprentissage menacent également de s'étendre au-delà de cette génération » (rapport de l'ONU, août 2020). Pour évaluer la formation permanente, il faut partir de l'éducation générale de la population. On estime que sur les 760 millions d'analphabètes dans le monde (UNESCO 2020), environ deux-tiers sont des femmes. A cette iniquité de genre dans le domaine éducatif, s'ajoute l'inégalité qui caractérise les divers continents. Tandis que dans la majorité des pays européens et d'Amérique du Nord et dans divers pays d'Amérique latine et d'Océanie, la population tout entière est alphabétisée, l'analphabétisme est l'un des problèmes les plus graves d'Afrique et d'Asie.
Inde, l’éducation niée aux Dalit
En Inde, les femmes Dalit, les « intouchables » au dessous des autres castes, sont opprimées en raison de leur genre, de leur caste et de leur situation économique. Elles passent la plupart de leur temps à la maison et ne peuvent contribuer en aucune manière à l'économie familiale. La naissance d'un petit garçon est fêtée, tandis que celle d'une petite fille est considérée comme une malédiction. L'éducation des femmes est retardée ou niée. Une situation analogue se constate dans huit pays africains, dans lesquels l'écart d'analphabétisme entre hommes et femmes est supérieur à 20% et est provoqué principalement par des motifs culturels.
En Amérique latine, exclues des postes de responsabilité
Ce que j'ai pu constater est que la formation des laïques au sein de l'Eglise catholique est différente dans les diverses régions.
Mon continent, l'Amérique latine, qui est la région ayant les plus grandes inégalités au monde, a toutefois offert un nouvel élan, non seulement en donnant à l'Eglise le Pape François, mais également à travers les documents rédigés par l'épiscopat latino-américain et des Caraïbes, comme ceux de Medellín, Puebla et Aparecida, ce dernier ayant précédé immédiatement Evangelii gaudium. Dans toutes ces contributions magistérielles, une place privilégiée est occupée par la religiosité populaire et donc la nécessaire formation du Peuple de Dieu. En dépit de leur préparation, rares sont les femmes qui sont à la tête de structures organiques nationales et diocésaines. Serait-ce à cause du cléricalisme et du machisme culturel dominants ?
Bien évidemment, la situation change selon le pays et l'Eglise locale. Chaque diocèse possède d'ordinaire un ou plusieurs centres de formation pour catéchistes et agents de la pastorale, avec des cours qui, en partant d'une formation chrétienne initiale, arrivent jusqu'à la formation universitaire. Il y a des femmes formées comme responsables de communautés de base, promotrices des droits humains, catéchistes et théologiennes. Un exemple : le groupe de théologiennes argentines de « Theologanda » développe actuellement un programme de séminaires intensifs pour théologiennes avec diverses étapes de formation.
Afrique, Asie et Moyen-Orient : formation entre paroisse et famille
A partir de mon expérience, je remarque le grand engagement et l'amour pour l'Eglise des femmes dans de nombreux pays d'Afrique et dans certains pays d'Asie pacifique et du Moyen-Orient. Leur formation chrétienne, en général, se réalise en famille et dans les paroisses. Elle repose principalement sur la spiritualité et la liturgie. J'ai rencontré peu d'associations de femmes ayant un programme de formation permanente et conforme aux orientations pastorales du concile Vatican ii. Ces femmes expriment leur foi de tout leur être dans la liturgie, dans l'éducation des enfants et dans le service solidaire aux personnes les plus indigentes. Pourquoi ? Peut-être parce que leur formation les a marquées de façon indélébile, jusque dans leurs entrailles.
Les dynamiques diverses en Europe et en Amérique du Nord
L'Europe et l'Amérique du Nord ont certains dénominateurs communs, comme les innombrables ressources de formation proposées par les épiscopats, les diocèses, les congrégations, les mouvements et association. Mais leur sécularisme culturel réussira-t-il à détruire la formation chrétienne ? Aux Etats-Unis, par exemple, j'ai rencontré des laïques ayant une vaste et excellente formation et également des laïcs des deux sexes qui s'auto-attribuent une « formation d'avant-garde » et sont engagés, de façon polémique, uniquement sur certains fronts spécifiques aux extrêmes, comme la réforme du Pape François, la célébration des unions homosexuelles, et certains autres thèmes qui ont trait à la morale chrétienne. Je me demande si les traces lumineuses laissées sur leur terre par des maîtres européens comme les cardinaux théologiens Yves Congar et Henri-Marie de Lubac, ou l'exceptionnel mystique Adrienne von Speyr, source d’inspiration pour Hans Urs von Balthazar, suffira à conférer à la formation des femmes l'enracinement ecclésial incontournable sans lequel les processus synodaux ne connaîtront pas d'heureuse issue. Personnellement, je considère que certaines expressions du féminisme conduisent à dénaturer les principes moraux, et que les questions sont bien plus complexes que celles soulevées par une candidature comme celle d'« archevêquesse » de Lyon. Dans le même temps, il y a des femmes leader qui, malheureusement, se concentrent uniquement sur des thèmes de morale sexuelle, sur l'avortement et sur l'idéologie de genre.
Le défi des ministères laïcs
Le 11 janvier dernier, le Pape François a établi, à travers un motu proprio, que les ministères de lectorat et d'acolytat soient désormais ouverts également aux femmes, de façon stable et institutionnalisée à travers un mandat spécifique. Si l'Eglise instituait de nouveaux ministères de laïcs – déjà sollicités lors du Concile Vatican ii – elle serait contrainte d'investir dans une formation adéquate également pour les laïques. Je rêve d'une Eglise qui inclue des femmes aptes à occuper la charge de juges dans tous les tribunaux où l'on examine les causes matrimoniales, dans les groupes de formation de chaque séminaire, où à exercer des ministères comme celui de l'écoute, de la direction spirituelle, de la pastorale de la santé, de la sauvegarde de la planète, de la défense des droits humains, et d'autres encore, pour lesquels nous femmes, en raison de notre nature même, sommes douées au même titre, et parfois même plus, que les hommes.
María Lía Zervino
Servidora, présidente de l'UMOFC - Union mondiale des organisations féminines catholiques